Premier amour Premier Amour de Samuel Beckett au Gymnase

Premier Amour de Samuel Beckett 

Mise en scène : Jean-Michel Meyer

"Pas de musique, pas de décor, pas de gesticulation", avait exigé, au moment de la création, Jérôme Lindon, directeur des Éditions de Minuit et exécuteur testamentaire de Samuel Beckett. Premier texte écrit en français en 1945 par Samuel Beckett et publié seulement en 1970, “Premier amour” mis en scène par Jean-Michel Meyer et interprété par Jean-Quentin Châtelain  a été créé en 1999. Paris 2022. Plus de vingt ans après , ils reprennent un spectacle qui, loin d’être démodé, nous permet de réentendre la langue de Beckett avec ses saillies et ses phrases sans pathos “taillées à l’os”. De vraies retrouvailles !   

Soliloques d’un promeneur solitaire

Jouant librement de la propre biographie de Samuel Beckett, “Premier amour” est une nouvelle à la première personne. Elle raconte la triste histoire d’un fils de famille dont la première rencontre amoureuse importante s’associe à la mort de son père. Lui seul le protégeait et le voilà rejeté par la tribu familiale qui le considère comme simplet et sans intérêt. Sa vie devient une errance solitaire dans un monde où il ne trouve pas sa place. Les cimetières deviennent des lieux de promenades qui le rattachent à son enfance. Sur un banc où il reste assis des heures, à la belle étoile, protégé par les branches des arbres, une nuit, il croise Lulu. C’est une fille de joie. Par pitié et par tendresse, celle-ci va lui offrir un toit, une chambre où poser son incapacité à vivre. Le jeune homme finit par l’aimer de sa drôle de façon, imposant ses comportements particuliers. La naissance d’un enfant le conduira à reprendre son chemin. 

Dans une lumière tamisée qui entoure le comédien d’un halo intime, les seuls accessoires du spectacle sont une antique chaise de bureau et un chapeau. Le premier  et le dernier mouvement sur la scène est un son, le grincement de la chaise que l’on tourne et qui sonne comme un violoncelle fatigué et désaccordé. Entre ces deux “présences musicales” le soliloque prend place et raconte la vie étrange de ce monsieur qui ne trouve plus sa place. 

Il parle de tout, de la mort, de la putréfaction, de la solitude, de l’égoïsme, de la nature, du temps qu’il fait et que l’on subit, des sentiments amoureux, des relations entre les êtres, de l’abandon, de bouses de vache…Les thèmes se succèdent dans des registres de langues différents parce que “l’on a le tort de vouloir s’adresser aux gens” et que “l’amour est un exil avec de temps en temps des souvenirs réels ou une carte postale”. Beckett, dans ce texte, joue de différents registres de la langue. La poésie et la réflexion philosophique coexistent avec la langue familière de récits intimes qui peuvent tendre parfois vers des allusions pornographiques. Le monologue  se déroule au fil de la pensée ou selon le fantasme qui surgit dans une langue magnifiée qui fait naître des images, active des ressorts poétiques et repousse les limites de l’analyse intellectuelle. 

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Paysages de l’ interprétation…

Dès les premiers mots de la pièce, la voix de Jean-Quentin Châtelain nous interpelle, nous oblige sans agressivité à ouvrir les oreilles et le coeur. Le premier contact avec cette voix rocailleuse et rauque qui porte chaque mot avec force ne laisse aucune place au vagabondage et nous emporte sur des chemins imprévus. Jean-Quentin Châtelain et Jean-Michel Meyer ont travaillé longtemps pour la radio et y avaient déjà créé ce texte dans les années 90. À un moment où le théâtre offre des ouvertures importantes à l’image dans la scénographie et la mise en scène, l’expérience radiophonique du metteur en scène et du comédien nous replace dans une autre perspective : celle d’un jeu de l’acteur où la voix devient le vecteur principal de l’action. Gouailleuse ou moqueuse, profonde ou claironnante, même en fermant les yeux, la voix seule nous promène dans les paysages intérieurs du jeune homme, infléchit des émotions insoupçonnées et nous les fait partager.  

Et de la mise en scène  

Pas de gesticulation est une des directives essentielles de la mise en scène et du jeu théâtral pour ce texte. Jean-Quentin Châtelain porte magnifiquement cette obligation dans sa façon d’utiliser son corps, faisant naître chaque action uniquement par un infléchissement particulier en disant les mots du texte. Il reste assis, se lève, se rassoit, se positionne sur sa drôle de vieille chaise pivotante. Il lève la tête d’une certaine façon, enlève ou remet son chapeau, positionne son ventre vers l’avant ou l’arrière. Le personnage pourrait nous rebuter avec ses manies, ses refus et ses presque colères imprévisibles, mais sa vie tragique avec son côté burlesque et parfois ridicule nous fait sourire et finit par le rendre émouvant dans sa fragilité d’homme-enfant qui continue à chercher ses rêves. Le jeu minimal de Jean-Quentin Châtelain ouvre vers une profondeur et un relief qui rendent  cette histoire à la fois pitoyable et touchante tout en sublimant l’écriture de Samuel Beckett. 

“Les monologues c’est une marche dans les traces de quelqu’un, le texte est un sentier”  affirme Jean-Quentin Châtelain qui a interprété de nombreux monologues. Celui-ci est la base d’un spectacle exigeant et superbe. Joué jusqu’au 27 Février 2022, au Théâtre du Gymnase à Paris, les paysages qu’il nous fait traverser et les émotions qui s’y attachent, valent vraiment la peine d’être découverts ou redécouverts.  

Premier Amour de Samuel Beckett

Mise en scène : Jean-Michel Meyer 


  • Création Lumière et Régie générale : Thierry Capéran

Avec Jean-Quentin Châtelain

Durée : 1H20 

Théâtre du Gymnase  / Studio Marie Bell

38 Boulevard Bonne Nouvelle – 75 010 Paris

Du 28 janvier au 27 février 2022
Du jeudi au samedi 19h et le dimanche à 16h 
 


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