Théâtre - : Adaptation et Mise en scène : Alexandre Zeff

Que sur toi se lamente le Tigre

D’après le roman de Émilienne Malfatto/ Goncourt du premier roman 2021

Adaptation & Mise en scène : Alexandre Zeff

Après avoir mis en scène “Jaz “ de Koffi Kwahulé, adapté et mis en scène “Tropique de la violence” d’après le roman de Natacha Apanah, Alexandre Zeff revient avec une nouvelle adaptation  théâtrale à partir du roman d’Émilienne Malfatto, “Que sur toi se lamente le Tigre”, Prix Goncourt du Premier Roman 2021. Nous sommes sur les bords du Tigre, le fleuve mythique qui traverse l’Irak dans les affres d’une tragédie qui nous fait pénétrer avec subtilité dans une société fermée, régentée par l’autorité patriarcale et le code de l’honneur.
Théâtre - : Adaptation et Mise en scène : Alexandre Zeff
Photo Victor Tonelli

L’arrivée du sang…

Sur le plateau noir, au début de la pièce, une seule présence, celle du oud qui rythme les premières paroles d’une jeune femme qu’on distingue à peine et qui nous raconte “la lame de fond qui monte [en elle] et tremble dans son ventre”. Parce qu’elle esL tombée enceinte sans être mariée et que son compagnon a été tué sous les bombes, la jeune fille apporte le déshonneur dans sa famille et va mourir. Trois femmes de génération différente racontent la fatalité de l’arrivée du sang pour les femmes. La tradition se met en place. Le voile doit être porté, -y compris face aux hommes de la maison – et vient annihiler les spontanéités de l’enfance, transformer la complicité des filles avec le père et les frères. Sous le regard d’une famille qui, en une ronde muette, exige l’application des règles patriarcales de l’honneur, le frère aîné sera celui par qui la mort arrivera.
Dans un décor et sur une scène semée de chausse- trapes, où l’eau peu visible souligne la présence du fleuve et où Les déplacements des acteurs représentent un danger permanent, nous sommes dans l’Irak rural d’aujourd’hui, sur les bords d’un fleuve Tigre qui veille…. Alexandre Zeff met ici en scène une tragédie de facture classique dans laquelle les voix s’enchâssent, se répondent, s’invectivent, où le spectacle vivant surgit comme les rêves d’une réalité fantasmée. D’un côté les voix des hommes dominants et en contradiction avec eux mêmes, de l’autre celles des femmes qui supportent, se défendent, se révoltent silencieusement et finissent par se soumettre à un sort qui les mutile ou les tue. Dans la nuit, les musiciens sont les fantômes de cette histoire, des témoins comme le fleuve au loin. Face aux humains, la voix du Tigre. Ce fleuve mythique qui a arrosé le jardin d’Eden, irrigué Sumer, abreuvé Babylone et qui se meurt lui aussi dans l’Irak d’aujourd’hui…Tout finit par se confondre dans un va et vient qui unit virtualité et réalité.

Théâtre - : Adaptation et Mise en scène : Alexandre Zeff
Photo Victor Tonelli

Comme une lame de fond

On retrouve dans les mises en scène d’Alexandre Zeff une continuité. D’une pièce à l’autre, sans se répéter, il creuse le même sillon et fait fusionner les arts : la musique, les mouvements de la scénographie, les voix qui s’enchâssent et se répondent, les lumières qui font jouer les ombres.
Dans cette pièce, un travail précis autour de l’image via les pratiques graphiques et numériques soulignent les mouvements d’une pièce polyphonique où s’enchaînent les monologues qui se répondent. Les monologues ou les courts dialogues se trouvent portés essentiellement par cette parole des femmes et donnent au début de la pièce une grande force au récit. Les monologues d’hommes introduits par la suite oblitèrent la parole des femmes et mettent en place la pesanteur des traditions. Dans l’organisation de la pièce, les monologues masculins, en devenant trop présents, conduisent, me semble-t-il, à freiner le rythme et la vigueur initiale du récit.

Des inflexions de tragédie grecque

Théâtre - : Adaptation et Mise en scène : Alexandre Zeff
Photo Victor Tonelli

La construction de la pièce évoque les inflexions de la tragédie d’un théâtre grec rythmé par les chants et les instruments de musique arabes. Alors que le dialogue se rompt entre les sexes, la voix du Tigre que personne n’écoute, devient l’écho lointain d’un “témoin lucide et désespéré du chaos et de la folie des hommes”. Cette voix surgit dans le récit comme une vague de fond qui tente de ressourcer les humains.
Adepte d’un théâtre qui fusionne tous les arts, Alexandre Zeff met à vif les mots d’Émilienne Malfatto pour mieux dénoncer la condition des femmes d’aujourd’hui. Se noue ainsi peu à peu un dialogue entre les personnages et le public, entre l’histoire des femmes irakiennes et le reste du monde. Dans un vertige porté par la musique et les paroles qui “fusionnent dans un même souffle poétique”, se font entendre aussi les contradictions que vivent ces hommes qui appliquent aux femmes des traditions liberticides qui les écrasent eux aussi. La musique, la poésie, la dramaturgie du texte et le jeu des acteurs se composent à l’unisson, se répondent ou au contraire se repoussent. Ces oppositions finissent par plonger le spectateur dans un état de conscience proche de l’hypnotisme. L’espace de la scène et de la salle finissent par se confondre, “pour nous transporter dans des lieux qui ont à voir avec le rêve ou le surnaturel”.
“Je suis le frère, celui par qui la mort arrive, dit Amir, le frère. Ce n’est pas moi qui tuerai, mais la rue, la ville. le quartier, le pays.” En Irak, le Tigre, source de vie, autrefois moyen de purification et fonction de régénération pour les humains, n’est plus écouté et ne peut que continuer à se lamenter.


Que sur toi se lamente le Tigre

D’après le roman d’Émilienne Malfatto
Éditions Élysad – Prix Goncourt du premier roman 2021

Adaptation et Mise en scène : Alexandre Zeff

Avec : Hillel Belabaci, Amine Boudelaa, Lina El Arabi , Nadhir El Arabi, Afida Tahri, Mahmoud Vito, Myra Zbib

Musiciens : Grégory Dargent (oud), Wassim Halal (percussions)

  • Scénographie, Lumières : Benjamin Gabrié
  • Vidéo : Nadia Nakhlé

  • Musique : Grégory Dargent
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Chorégraphie : Mahmoud Vito
  • Assistanat à la mise en scène : Agathe Vidal
  • Dramaturgie : Pauline Donizeau
  • Collaboration artistique : Claudia Dimier
  • Costumes : Sylvette Dequest

Durée : 1 h 20


Théâtre de la Tempête
Cartoucherie -75012 Paris

Du 12 janvier au 11 février 2024
Du Mardi au Samedi 20 h – Dimanche 16 h


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