Cavalières
Conception & Mise en scène : Isabelle Lafon
Depuis 2016, la comédienne, autrice et metteure en scène, Isabelle Lafon poursuit son artisanat théâtral et sa collaboration avec le Théâtre de La Colline. Elle y revient, mais cette fois dans la grande salle avec “Cavalières”, sa dernière création. Une pièce à l’équilibre fragile qui oscille entre le texte écrit et l’improvisation et qui est portée par quatre comédiennes excellentes et totalement touchantes.
Cavalières ? Oui mais…
L’une derrière l’autre, elles pénètrent d’un pas assuré et dans un rai de lumière, sur l’immense scène de théâtre. La plus âgée prend la parole avec vigueur et d’emblée affirme avec force son amour inconditionnel du cheval. Elle s’appelle Denise (très drôle Isabelle Lafon). Elle est palefrenier et elle connaît tout des courses, des paris et des hippodromes, et bien sûr des soins à donner aux chevaux. Elle correspond par lettre avec Saskia (Johanna Khortals Altes), son amie danoise et ingénieure en ciment, tout aussi amoureuse des chevaux. Échange de lettres très enthousiaste sur le sujet. Saskia cherche à donner un sens à sa vie. Elle souhaiterait venir à Paris et après quelques échanges, Denise accepte avec joie. L’idée de prendre un appartement plus grand, fait naître l’idée d’une colocation à quatre. Deux autres jeunes femmes vont venir compléter l’aventure : Nora (Karyll Elgrichi), discrète et attentive, une éducatrice totalement investie dans sa fonction, et Jeanne, la plus jeune, (Sarah Brannens), une serveuse qui analyse chaque situation en se posant beaucoup de questions et qui espère le prince charmant.
Denise prend la direction des opérations et pose les conditions à la co location dans une communication brute de décoffrage. Les chevaux oui, mais il faudra aussi s’occuper de Madeleine, une enfant particulière, plus lente que les autres, dont Denise est devenue la tutrice à la mort de Jacqueline, sa mère,- une autre amoureuse des chevaux. Dernier point important : respecter la nudité de l’espace et donc ne pas apporter de meubles et d’accessoires inutiles. Dernière précision : Denise ne fera aucun effort d’empathie particulière dans sa communication…Car Denise est une personne cavalière dans son impertinence, son insolence et elle ne connaît pas les manières ouatées. Cavalières aussi, Saskia, Nora et Jeanne ne seront pas en reste.
Un sujet mystérieux et opaque
Résumer l’objet de “Cavalières” paraît totalement impossible. “Écrire, c’est comme monter à cheval” précise Denise à ses colocataires, sans donner beaucoup d’explications. Et nous voilà, à notre tour embarqués dans l’aventure, à la suite des quatre comédiennes qui nous entraînent, nous tirent parfois et nous perdent souvent. Entre explications sur les courses hippiques, les petits détails qui doivent organiser les règles et le quotidien de la colocation, le quatuor cavalcade, caracole, marche parfois au trot et rarement au pas…Au fil du texte, se crée l’intime. S’entremêlant les histoires se font écho. Sans aucun accessoire, le récit se colle au corps des comédiennes qui arpentent le plateau dépouillé. Les mots construisent le collectif des relations autour de “Mado”, cette enfant handicapée qui n’apparaît que dans le discours. Le côté abrupt du début de ces relations finit par se fondre dans une sorte de tendresse et d’intimité auxquelles ces Amazones, qui vivent loin des hommes, finissent par se reconnaître.
Le théâtre comme une piste de manège…
Peu à peu, le récit et les lumières de Laurent Schneegans découpées avec élégance construisent l’espace, le temps et l’action de la pièce. Les déplacements précis ou l’apostrophe au public finissent par transformer l’immense plateau théâtral en piste d’entraînement hippique. Les mots se bousculent et inscrivent la différence et les positions de chaque femme. Sans démonstration, les situations théâtrales naissent du récit, évoquent un concours hippique complet qui irait du dressage au cross en passant par le saut d’obstacles.
Pour Isabelle Lafon, la scène est un espace de liberté mystérieux et opaque qui lui permet de se mettre en quête d’elle-même et d’un ailleurs. Dans “Je pars sans moi”, son spectacle précédent, l’autrice tissait le fil de nos “folies” singulières en plaçant l’action de sa pièce dans le milieu des aliénés. Ici le sujet est plus léger, le propos souvent très drôle. Son travail comporte la même unité à travers des récits insolites et complices qui oscillent entre le texte écrit et l’improvisation. Son écriture toujours portée par le désir de créer des liens, s’inscrit aussi entre des univers opposés. Essentiellement féminine, la parole se déploie ici encore avec fragilité, dans une urgence qui réconcilie le théâtre et la vie. Qui sont-elles ? Et, au final, pour qui se prennent-elles ces quatre femmes d’âge et de milieux différents ? Pourquoi le rapport au cheval ? Le mystère reste total.
Cavalières
Conception et Mise en Scène : Isabelle Lafon
Écriture et jeu : Sarah Brannens, Karyll Elgrichi, Johanna Korthals Altes et Isabelle Lafon
- Lumières : Laurent Schneegans
- Costumes : Isabelle Flosi
- Assistanat à la mise en scène : Jézabel d’Alexis
Durée estimée : 1 h 20
Théâtre de La Colline – Théâtre national – 75 020 Paris
Du 5 au 31 mars 2024
Du mercredi au samedi à 20h30, le mardi à 19h30 et le dimanche à 15h30