J’ai si peu parlé ma propre langue
Mise en scène : Agnès Renaud
Écrite par l’ensemble des comédiennes qui jouent la pièce et par Agnès Renaud qui en fait également la mise en scène, “J’ai si peu parlé ma propre langue” est une pièce dont le sujet a été peu abordé : donner la parole à ceux que l’on nommait “les pieds-noirs”. Ils étaient Français d’Algérie et ont quitté le pays en 1962 à l’indépendance. 62 ans se sont écoulés depuis. La pièce, résultat d’un travail collectif assume une forme de naïveté qui la rend émouvante.
Vous écoutez la Radio Amicale du Soleil !…
Une table, des micros et le désordre sur la table qui évoque la préparation d’une émission de radio. Aujourd’hui la Radio Amicale du Soleil, radio de tous les rapatriés d’Algérie, est sens dessus-dessous. Rosa Crémieux et son assistante en sont toutes émoustillées et l’émotion les submerge.
Aujourd’hui, leur émission est exceptionnelle car un hommage sera rendu à Carmen Sintès, écrivaine et figure emblématique du quartier le plus populaire d’Alger où elle vivait avant l’indépendance. Les invitées à avoir connu Carmen sont nombreuses autour de la table: il y a bien sûr Jeanine, sa meilleure amie de jeunesse et une invitée surprise, l’autrice Angèle Deriaut…Rosa et Mathilde, sa nièce et jeune chroniqueuse de l’émission, sont dans tous leurs états!…
Soixante ans d’écart : une histoire de femmes
L’enquête qu’ont mené Rosa et Mathilde, les deux animatrices de la radio, concerne
1958-1968, la décennie centrale dans la vie de Carmen : celles des bouleversements du XX° siècle, des évènements d’Algérie qui ont conduit à l’indépendance du pays et au départ de ceux qu’on appelait les pieds-noirs, aux revendications féministes menées par Simone de Beauvoir et bien d’autres femmes dans le monde. Dans les années 60, à Alger, Carmen et ses amies se trouvent au centre de ces trajectoires. Rosa et Mathilde, en 2024 se reconnaissent dans ces questions posées par des femmes d’hier qui ont atteint 80 ans aujourd’hui et dont elles sont les héritières. Les questions jaillissent : De quelle façon dois-je construire mon identité féminine ? Comment m’approprier l’Histoire et comment revisiter la mémoire ? Quel rapport dois-je entretenir avec la création et comment raconter ce qui m’est transmis ? Quand je parle français comme tous les gens de mon pays, comment se définit ma propre langue lorsque je suis née dans un pays qui n’est plus français ? Toutes ces questions sous-tendent le récit que transmet Agnès Renaud qui oscille entre l’enquête, la fiction et l’anecdote.
De mère à fille
Pour imaginer cette pièce, Agnès Renaud s’est inspirée de textes que sa mère avait écrits dans sa jeunesse et interrompus au début de la guerre d’Algérie. Dans ces écrits transparaissent l’histoire familiale et la grande Histoire dont la metteure en scène devient l’héritière.
Héritière aussi des métissages familiaux où se croisent l’italien, l’espagnol, le français, l’arabe et le berbère. Métissages qui se prolongent aussi par la traversée des guerres coloniales, le deuil du départ d’Algérie en 1962 et le retour impossible. Autour de personnages fictionnels ou réels, nous dit Agnès Renaud, “Le travail sur la langue est ici essentiel : elle fonde une identité, une histoire, elle peut être façonnée par un discours dominant, teintée d’accents, elle révèle un territoire ou une classe sociale”. Se transforment alors les souvenirs de la mémoire pied-noir et le rapport problématique à cette France de De Gaulle idéalisée , où les repères se perdent quand on n’a connu de la France que l’Algérie.
Avec les textes transmis, les histoires racontées par sa mère et par l’imaginaire, Agnès Renaud retrouve la mémoire populaire des rues d’ Alger. Carmen Sintès, le personnage fictionnel qu’elle a créé pour raconter les souvenirs de sa mère existait aussi dans le théâtre en pataouète – un français très imagé, parlé avec un accent particulier par les pieds-noirs et mis en scène par une troupe algéroise qui s’appelait La Famille Hernandez . Mme Sintès était un nom courant, mais c’était aussi le nom d’un des personnages principaux, imaginés par cette troupe de théâtre populaire et connue dans toute l’Algérie. La comédienne Marthe Villalonga, devenue depuis la grande comédienne connue en France, en était l’interprète. Utiliser le nom de ce personnage de théâtre pour évoquer des souvenirs familiaux crée de nouvelles références et s’ancre alors dans une mémoire plus large. Cette mémoire qui, au début, n’a pas osé prendre sa place, se transmet enfin avec son humour et ses coups de gueule qui, en créant de nouvelles références, finit par mettre à distance le tragique de l’Histoire.
J’ai si peu parlé ma propre langue
Mise en scène : Agnès Renaud
Écriture collective : Agnès Renaud, Marion Duphil-Barché Pauline Méreuze, Diane Regneault, Jeannine Renaud
Avec : Marion Duphil-Barché, Pauline Méreuze Diane Regneault, Flore Taguiev et la voix de Jeannine Renaud
- Scénographie : Claire Gringore
- Création Sonore : Jean De Almeida
- Lumières : Véronique Hemberger
- Costumes : Lou Delville
Durée : 1 h 10
Théâtre La Reine Blanche– 75018 Paris
Du 11 Janvier – 3 Février 2024
Les Mardis 16, 23, 30 Janvier 2024 À 19H . Les Jeudis 11, 18, 25 Janvier et 1er Février 2024 À 19H . Les Samedis 13, 20 Et 27 Janvier et 3 Février 2024 à 18H .
1 Représentation Scolaire Le Jeudi 1 Février 2024 À 14H30.