Théâtre - : Contes d'État Textes de Sophie Divry et Sandra Lucbert

Contes d’État

Textes de : Sophie Divry et Sandra Lucbert

Conception: Aurelia Ivan
En complicité avec Raphaël Kempf

Jouant sur le double sens du mot à savoir les “comptes” et les “contes”, Aurelia Ivan, autrice et metteure en scène de théâtre en complicité avec l’avocat Raphaël Kempf, a conçu une pièce dérangeante et déstabilisante tant au niveau du sujet que de la conception théâtrale et cela donne “Contes d’État”…

Un dépouillement, ça s’organise !…


“C’est une question de bien public.Le bien public est une bonne affaire pour le privé. Extension du territoire de la marchandisation. Avec l’école, les hôpitaux, les prisons, les transports, l’électricité ; avec le chômage, les retraites, la Sécu : qu’on nous laisse faire, on fera de l’argent” *
Deux textes sont à l’origine de cette pièce intitulée “Contes d’État”. Le premier livre s’intitule “Le ministère des contes publics” *, un essai écrit par Sandra Lucbert une normalienne brillante qui, partant d’une émission de télévision sur France 5, intitulée “Le piège de la dette”, déconstruit le discours politique sur la dette publique. L’autre livre a pour autrice Sophie Divry qui dans “Cinq mains coupées”, paru en 2020, donne la parole à cinq manifestants mutilés de la main, suite à des affrontements avec les forces de l’ordre, lors du mouvement des Gilets Jaunes. Si le livre de Sophie Divry regroupe des témoignages, l’essai de Sandra Lucbert revendique aussi une position littéraire en s’inspirant de contes comme “Alice au pays des merveilles” et “De l’autre côté du miroir” de Lewis Caroll, de “Madame Bovary” de Flaubert et des “Cannibales” de Montaigne. Se basant sur la force et la volonté des politiques pour voiler la réalité des situations, Aurélia Ivan et Raphaël Kempf soulignent un discours où les mots pipés et les contes à dormir debout créent une sorte de machinerie qui renforce les dominations sociales, conduisant, par un ordre tenu par la force, à des décisions parfois contestables.

Un théâtre sans cloisonnement

En choisissant de s’associer pour la conception du spectacle à l’avocat Raphaël Kempf qui n’appartient pas au milieu du théâtre, Aurélia Ivan fait le choix d’étayer et de renforcer le texte et la mise en scène vers une autre réalité. L’avocat présent aux côtés des comédiens donne une autorité et permet en fin de spectacle le détricotage des situations théâtrales pour ouvrir le texte vers des instances juridiques qui permettent l’action et une autre forme compréhension.
Les deux ouvrages proposés ne sont pas des textes de théâtre, mais des récits qui se basent sur des réalités documentaires et politiques. En rattachant cette parole contemporaine à la structure du théâtre grec de l’Antiquité, en insérant dans le récit les contes de Lewis Caroll, en faisant alterner la parole et le chant lyrique et en utilisant dans le jeu théâtral des masques de plâtre, surgit un décloisonnement des formes théâtrales. La réalité politique, le réalisme des violences et l’imaginaire tissent l’épique et l’ordinaire, le visible des situations décrites et l’invisible des mensonges d’un discours politique verrouillé. Les personnages réels sont transformés en acteurs de contes à dormir debout.
La performance des acteurs et une scénographie en apparence très simple transforment le plateau en un lieu mystérieux, où de la lumière peuvent surgir des ombres inquiétantes. Sur le plateau de théâtre, la silhouette pourtant visible des acteurs semble se dédoubler, disparaître tout à coup derrière un miroir étrange où le reflet semble différent de la réalité. Sur le plan de la dramaturgie, souligne Aurélia Ivan, “Contes d’État” est un “assemblage” pour ouvrir des possibles autant formels qu’analytiques, et dont le récit global est pris en charge par des acteurs – Léonie Chouteau et Volodia Piotrovitch d’Orlik, et une chanteuse/performeuse : Flor Paichard – et que je nommerais ici comme étant des “figures agissantes”.
Tout au long de la pièce, les deux récits choisis nous conduisent vers des émotions contradictoires: l’humour naît parfois d’une parole mensongère qui ne se cache pas et dont les acteurs soulignent la contradiction, la prise de conscience des situations tronquées créent aussi une instabilité d’où peut naître l’inquiétude. Ces “Contes d’État” sont dérangeants, nous l’avons dit et nous voilà bien loin du royaume des fées !

  • Le ministère des contes publics, Sandra Lucbert, Éditions Verdier, 2021 Chapitre III Des cannibales en vérité – 4, Page 81 à 84

Contes d’État

Conception : Aurelia Ivan
En complicité avec Raphaël Kempf
Textes de Sophie Divry et Sandra Lucbert

Avec : Léonie Chouteau, Raphaël Kempf, Flor Paichard et Volodia Piotrovitch d’Orlik

  • Conception Espace, Lumière, Costumes : Sallahdyn Khatir
  • Conception Sonore: Nicolas Barillot et Gregory Joubert 

  • Stagiaire Scénographie: Rose Bouraly

Durée estimée : 1 h 30


Théâtre de la Cité internationale 75 013 Paris

Du29 février au 23 mars 2024 – Jeudis:19 h- Vendredi:20 h-Samedi : 18h

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