Je suis Gréco

Texte : Mazarine Pingeot & Léonie Pingeot

Mise en scène : Léonie Pingeot

L’une est “théâtreuse”, l’autre est écrivaine et également cousine de la première. “Je suis Gréco” est la première pièce co-écrite par Mazarine Pingeot et Léonie Pingeot qui en assure aussi la mise en scène. Un étonnant spectacle musical où Gréco se raconte, nous raconte, dédoublée par deux interprètes remarquables qui questionnent l’identité et le destin d’une icône qui continue de nous faire rêver.
Photos Rodolphe Haustraete

Qui êtes-vous Juliette Gréco ?

Une sorte d’animateur déboule sur la scène et clame la question au public installé dans la salle. “Qui était Juliette Gréco et dans la salle quelqu’un la connaissait-il ?” clame-t-il haut et fort. Une dame de 98 ans affirme qu’elle l’a rencontrée alors qu’elle était âgée de 20 ans…L’homme déclare se nommer “L’Inquisiteur” et que son travail consistera à cerner la personnalité de cette chanteuse et à lui redonner vie sur la scène. Il désigne deux jeunes filles dans le public. Il les fait monter sur le plateau et insiste violemment pour qu’elles affirment à haute voix “Je suis Gréco”…Nous voilà embarqués dans une sorte de cabaret où guidés par une sorte de journaliste-inquisiteur, nous rencontrerons des “jeunes” d’une autre époque et encore inconnus…Ils s’appelaient Brel, Prévert, Gainsbourg, Miles Davis, on perçoit aussi l’ombre du philosophe Jean-Paul Sartre et tous adoraient la Môme Gréco…

Raconter et “devenir” Gréco…

Qui était Juliette Gréco ? La question est au centre de toute la pièce et oriente tout le spectacle. Question vertigineuse inspirée, disent les autrices, par un entretien que Gréco avait accordé en 1973 à Jacques Chancel, dans “Radioscopie”, une émission de radio basée sur des portraits intimes de célébrités.
Elsa Canovas et Geoffroy Rondeau assurent le jeu et deviennent sous nos yeux Juliette, “la fille aux bras flexibles”, la Môme Gréco, la Passagère de Saint Germain…comme l’avaient surnommée ses amis…Une Gréco à deux âges différents de sa vie : la jeune fille discrète, capable pourtant de s’affirmer et de prendre sa place et celle devenue au fil du temps la muse des plus grands, reconnue à la fois comme chanteuse et comme comédienne.
“Juliette Gréco n’a pas de frontière et la mise en scène tend à transposer cette sensation d’immensité” affirme Léonie Pingeot. Comme dans un songe, sa mise en scène s’appuie sur la scénographie imaginée avec un grand talent par Damien Rondeau. Sur un plateau quasi-nu, toute l’action s’organise autour d’une scène ressemblant à un rocher habillé d’un tulle transparent et pailleté. Peu à peu le plateau se transforme en un lieu de rêve où chacun peut y loger ses fantasmes personnels.
Loin du réalisme, apparaissent peu à peu, les lieux qui ont accueilli ces rêveurs des années 50. Ceux qui ont contribué à rendre célèbre St Germain des Près et notamment la cave du Tabou. L’espace se fractionne mais, porté par la musique de Raphaël Bancou sur son piano, l’action sur le plateau se met en mouvement et finit toujours par se rassembler autour de l’unique Gréco.
Habillées de noir, elles sont deux Gréco sur le plateau, deux Juliette spécifiques. Pour Elsa Canovas et Geoffroy Rondeau qui assurent le rôle de Gréco à deux âges différents, il n’est pas question d’imiter ce qu’elle fut. Tour à tour, elles racontent et elles chantent. Le personnage de l’Inquisiteur( vitupérant Gaël Sall) assure la distance, infléchit les actions, casse les peurs, parfois violemment, des deux personnages en cas d’hésitation sur la scène. À la fois complice et spécifique, le jeu plein de talent et de finesse des comédiens s’appuie surtout sur un corps et une voix qui se racontent. Sans aucune volonté démonstrative, les chansons deviennent alors des points de référence à la vie de la chanteuse. Ici , il ne s’agit pas d’imiter mais d’être porteur de ce qu’elle fut et de faire renaître ce qu’elle a transmis.

Photos Rodolphe Haustraete

“Déshabillez-moi !”

“Déshabillez-moi!”, la chanson qui débute le spectacle, marque ainsi les premières confidences de la chanteuse, comme une invitation à entrer dans la nudité de la vie de Juliette qui s’est rarement laissé aller à des confidences trop intimes. Comme des bulles se racontent la violence du père commissaire de police, la déportation de la mère et de la soeur aînée à Ravensbruck en raison de leurs actes de Résistance et qui laisse Juliette, âgée d’a peine 13 ans, seule à Paris…Parlant ou chantant, les voix des deux comédiens se dédoublent et révèlent avec pudeur et élégance, à travers échanges de paroles ou de chansons, les différentes parties de la vie de l’artiste.
Une “Jolie môme” se raconte comme “Le petit oiseau et le petit poisson” qui s’aimaient d’amour tendre. Certains se retrouvent au coeur du “Bal perdu”…Belphégor, le fantôme du Louvre toujours errant fait une courte apparition…Celle qu’on appelait aussi Jujube reste toujours nimbée de cette élégance et de cette pudeur que lui reconnaissent tous ses amis qui lui seront restés fidèles jusqu’à sa mort à l’âge de 93 ans.
“Plus que tout, précise Léonie Pingeot, c’est la liberté de Gréco qui frappe”. Une liberté dont l’écriture et la mise en scène se sont emparé, pour allier dans le texte le surréalisme du Paris des années 50 et la voix intime des confidences de l’artiste.
Notre époque ne respecte plus l’intimité des silences. Mais ici, dans un texte et une mise en scène qui laissent la place aux rêve et aux silences, le résultat est émouvant et sincère. Elle était femme, chanteuse, militante, toujours en avance sur son temps, pourtant Gréco refusait de se laisser assigner à une place. À contre-courant de notre époque, ses chansons, dans ses fulgurances, ses silences ou ses mystères, ses réparties pleines d’humour continuent d’habiter notre imaginaire. Cependant, à la fin de ce spectacle plein de finesse, la question reste intacte. Qui était Gréco ? [Qui était] cette fille quasi mutique qui deviendra la voix de tant d’auteurs (…) [Qui était] ce diamant pur et timide derrière le noir de ses tenues.” ?

Photos Rodolphe Haustraete

Je suis Gréco

Texte : Mazarine Pingeot & Léonie Pingeot
Mise en scène : Léonie Pingeot

Avec: Raphaël Bancou (musicien) Elsa Canovas (Juliette Gréco) Geoffroy Rondeau (Juliette Gréco) Gaël Sall (l’inquisiteur)

Voix enregistrées :Alexis Ballesteros, Benjamin Gomez, François Pérache, Antoine Quintard, Florian Westerhoff


Durée : 1 h 30

  • Collaboration artistique: Lisa Garcia

  • Création musicale et arrangements : Raphaël Bancou
  • Scénographie: Damien Rondeau

  • Création lumière: Quentin Pallier

  • Création sonore: Raphaël Pouyer

  • Costumes: Sophie Porteu de la Morandière

  • Tapissière: Charlotte Winter


Théâtre du Rond-Point – Salle Jean Tardieu – 75 008 Paris


31 janvier — 10 février 2024
Du mardi au vendredi, 19h30 Samedi, 18h30 — dimanche, 15h30

Tournée : 15 et 16 février 2024 – Espace Bernard-Marie Koltès / Metz (57)

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