ZOOM sur… Julie Louart

Interview

Metteure en scène / Compagnie Les CriArts

Comédienne, professeure de théâtre, metteure en scène, créatrice du Festival Le Vivier et co-fondatrice de la Compagnie des CriArts qu’elle définit comme “un Ovni artistique non genré se définissant comme un ensemble de cris”, Julie Louart est encore très jeune, mais ne manque ni de ressources, ni d’imagination. La dernière création des CriArts “Mon corps est une arme” dont le titre est déjà tout un programme, s’appuie sur la performance et un rapport au public qui abolit le quatrième mur.

Julie Louart interview
Mon corps est une arme

Question : “Lutte, Engagement, Lumière” sont les orientations de la Compagnie des CriArts que vous avez créée et que vous définissez comme “un Ovni artistique non genré”, qu’entendez-vous par là ?

Julie Louart : La compagnie des CriArts a été fondée pour permettre une expression libre sur le plateau et autour d’un théâtre proche et nécessaire en fonction de ce que je vis et en fonction de l’évolution de la société, de la place des artistes- femmes et de la légitimité de leur prise de parole. Je ne me sens pas légitime en tant que féministe car je ne connais pas toutes les actions, led collectifs, les actualités. Pour moi être féministe est très large et j’essaie de l’être à ma propre façon. Je suis une femme, je m’intéresse à la cause avec tout ce que cela implique, pour une femme, d’exister dans l’espace public. Avec la compagnie, à travers nos cours de théâtre, nous essayons de donner la parole et la place à celles et ceux qui ne peuvent pas s’exprimer. On dit que notre compagnie est un ovni car elle a pour vocation de casser des codes.

Q.: Vous êtes la metteure en scène des spectacles que vous créez au sein de votre compagnie, de quelle façon travaillez-vous ?

J.L.: En tant que metteure en scène, tout dépend des spectacles que je monte en fonction des commandes et de nos propres projets. C’est un gros travail de fond que je fais seule ou en raison de certaines rencontres, comme par exemple, avec des artistes de rue ou des danseurs. De ces rencontres naissent des idées, se créent de nouvelles techniques. Je travaille ensuite sous forme d’improvisations durant 3 ou 4 mois. En m’inspirant de textes et selon la forme des improvisations, j’essaie de toucher et de briser les limites de l’acteur. Se font enfin en tout dernier lieu, l’approche du texte, la mise en espace et la création au plateau, puis le travail sur la scénographie, la musique…Nos spectacles sont très visuels, ils veulent avant tout toucher les sens des spectateurs et parvenir à l’intime de chacun.

Julie Louart - Mon corps est une arme
Mon corps est une arme
Julie Louart - Mon corps est une arme
Mon corps est une arme

Q : “Mon corps est une arme” est le dernier spectacle que vous mettez en scène. Vous l’avez déjà créé et vous le présenterez en Avril 2023 en région parisienne au théâtre “El Duende”. Un titre pareil que cache-t-il ? Vos comédiennes s’appellent les Amazones et vous invitez le public à organiser un coup d’état…Vous entendez quoi par là ?

J.L. : La création de cette pièce a été une commande du Festival Femixité qui souhaite mettre en avant l’égalité homme/femme. Ma première question dans ce cadre a été la suivante: est- ce que je me sens légitime sur le sujet ? Et c’est ainsi qu’est née cette pièce “Mon corps est une arme” . Pourquoi ce titre ? J’ai basé mon questionnement autour de plusieurs sujets . Le corps des femmes vu par les hommes a été considéré comme voué à la sorcellerie. Comment nous, femmes, pouvons-nous nous réapproprier ce corps ? Comment en jouer comme d’un bouclier ? Le corps est juste une manière de se montrer et d’exister, pour au final se défendre contre le système, la Compagnie Les CriArts est fondée sur cette devise : Lutte, Engagement, Lumière. Sortir du patriarcat en renversant les codes et faire la part des choses.

Q.: Quelle est la genèse du projet tel qu’il a été créé ?

J.L.: Je me sentais dans un manque de légitimité par rapport au féminisme. J’ai essayé de permettre au public de s’exprimer sur le sujet, quel qu’était son rapport et sa propre expérience du féminisme. Sur le plan de la mise en scène, le public est invité dans l’espace des Amazones que sont les comédiennes, c’est-à-dire sur le plateau. Auparavant, on coupe le contact avec le monde extérieur en ramassant les portables. En fonction de leur expérience et de l’histoire qu’elles racontent, les Amazones ont une arme ou pas, elles sont timides ou hargneuses…Les choix sont très ouverts, le texte a été écrit au plateau et c’est un moment de performance pour les comédiennes. Les textes proposés sont ceux entre autres d’Olympe de Gouges, Hillary Clinton, des esclaves de l’époque coloniale, des textes classiques…Les choix sont très ouverts. Dans cette configuration, le quatrième mur n’existe pas. Le public est inclus sur la scène. Mais les réactions sont assez larges : certains sont intégrés dans le spectacle et d’autres préfèrent rester spectateurs. Le spectacle et l’histoire sont co-construits avec le public. Les participants sur le plateau reçoivent un nom d’Amazone et doivent résoudre les énigmes qu’on leur propose.

Julie Louart - Mon corps est une arme
Mon corps est une arme

Q.: Dans la pièce est inclus un game master, comme dans certains jeux, quelles ont été les réactions du public dans cette façon de faire ?

J.L.: En tant que metteure en scène, je me situe en fonction des réactions sur le plateau. Comment être dans l’immersion du spectacle et créer un acte performatif de plus en plus large ? Dans mon travail, je tends de plus en plus vers l’acteur-spectateur. Pour les acteurs, l’appropriation et la ré-appropriation de l’espace du plateau n’est pas toujours facile. Le changement du rapport au public les oblige à trouver comment renforcer leur place et trouver une parole théâtrale plus simple.

Q.: Mais n’y-a-t-il pas alors une forme de manipulation de la part de la metteur en scène ?

J.L. : Je fais partie avec les régisseurs du projet d’immersion sur le plateau et même plus en retrait, nous sommes inclus dans le spectacle. Et en tant qu’actrice, en plus de l’aspect technique de la metteure en scène, je dois aussi me demander comment jouer avec la présence du public sur le plateau.

Q.: Quel rapport au théâtre s’établit dans cette nouvelle configuration et ce nouveau rapport à l’espace théâtral ? Quelle est selon vous l’évolution du texte et du jeu des comédiens dans ce nouveau type de rapport à la scène ?

J.L. : Il y a une immersion plus totale du public dans le jeu des comédiens et l’action du spectacle sur le plateau. Pour moi, les artistes deviendront “des tableaux organiques”, le public finira par prendre la place des acteurs et actrices. Les comédiens et comédiennes professionnels de la pièce créeront un jeu plus organique qui aboutira à une générosité plus grande à l’égard des non-acteurs. En tant qu’artiste, je souhaite ouvrir le théâtre vers un espace culturellement engagé que le public peut investir. La création d’un lieu sans cadre permettra de parvenir à une indifférenciation entre l’artiste et le public.

Propos recueillis par Dany Toubiana / Janvier 2023

Photos du spectacle « Mon corps est une arme » / 2022-2023

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