Britannicus mis en scène Olivier Meillor

Britannicus

Tragédie de Jean Racine

Mise en scène : Olivier Mellor

En examinant la relation de la reine Agrippine et de son fils Néron, Freud aurait pu dire que les drames sont nés d’un complexe d’Oedipe mal digéré. Mais s’agissant d’une tragédie de Jean Racine, peut-on envisager une telle interprétation ? La Compagnie du Berger revient sur les planches du Théâtre de l’Épée de Bois pour nous proposer, “Britannicus”, écrite en 1669 par le grand auteur classique. Cinq actes en 1770 alexandrins. Un vrai plaisir des yeux et des oreilles, dans une mise en scène éblouissante d’Olivier Mellor.  

Les bascules du pouvoir 

Britannicus mis en scène Olivier Meillor
© Ludo Leleu

Rome. 56 après JC, sous le règne de Néron. Agrippine, mère de Néron, entre en scène dans une colère immense et veut être reçue immédiatement par son empereur de fils. Elle vient d’apprendre que celui-ci séquestre la jeune et jolie Junie, promise à son demi- frère Britannicus. Après avoir fait assassiner Claudius son mari et père adoptif de Néron, elle a placé celui-ci sur le trône qui aurait dû revenir à Britannicus. Après quelques années de règne sans partage, Néron souhaite désormais écarter sa mère du pouvoir afin de régner enfin par lui-même.  

En quelques vers, Racine impose l’intrigue : la famille disloquée, l’empereur fuyant, les manoeuvres dans le dos des uns ou des autres… Une histoire terrible marquée par une bascule du pouvoir. Apprécié du peuple, Néron veut juste s’affranchir du pouvoir que sa mère entend encore lui imposer…Une histoire qui débute aussi par la disgrâce d’une mère toute puissante et se poursuit par la mort d’un frère spolié de ses droits. Néron est ici un monstre naissant, affirme Racine dans la préface de sa pièce, pourtant assez de cruautés commises déjà laissent présager de la suite du chemin…

Au-delà de la beauté du vers racinien, que raconte aujourd’hui une tragédie classique ? Quel sens doit-on lui donner dans le contexte de notre monde contemporain ? Le travail magistral réalisé sur la dramaturgie de la pièce par Julia de Gasquet ouvre bien des chemins. Spécialiste dans l’étude de la tradition du jeu de l’acteur en occident et de sa résonance contemporaine, la dramaturge offre à la mise en scène d’Olivier Mellor et au jeu des acteurs des pistes innovantes. La mise en scène respecte totalement la règle des trois unités – lieu unique, une journée, une seule action – mais ces règles à la base du théâtre classique se traduisent ici par une mobilité du jeu des acteurs, des déplacements sur le plateau mais aussi du “mouvement” des sons, des lumières, des accessoires qui font exploser le cadre classique de l’espace et ouvrent d’autres directions. 

Britannicus mis en scène Olivier Meillor
© Ludo Leleu

Un dispositif scénique tri-frontal

Ainsi les personnages d’Agrippine et Néron au centre de l’action. Ils se rencontrent seulement à l’acte IV et les trois premiers actes font état de leur relation toxique. Pourtant des nuances rares se dessinent ici dans le jeu, ouvrent des aspects inédits dans l’interprétation et inscrivent le drame politique dans un contexte intime. Néron (Hugues Delamarlière) apparaît comme un adolescent insupportable qui n’ose s’opposer à sa mère avant de devenir le tyran inscrit dans l’Histoire. Interprété avec une force impressionnante par Marie-Laure Boggio, la reine Agrippine, en dépit de sa hargne et de ses revendications, souffre en mère des changements dans sa relation avec son fils Néron qu’elle a du mal à voir grandir tout en ayant l’intuition des drames en filigrane .     

Toutes les mises en scène d’Olivier Mellor sont portées par la musique qui souligne l’action, ouvre des portes secrètes et raconte l’histoire autrement. Cette pièce n’y échappe pas. La musique en direct, des sons enregistrés soulignent la projection d’images  étranges et inquiétantes et les lumières, utilisées parfois de façon inédite, participent à la mobilité du jeu des acteurs. La scénographie tri-frontale – un tiers du public installé devant la scène, les deux autres tiers, de part et d’autre du plateau – joue sur le cloisonnement. Inscrivant les spectateurs dans chaque action, cette organisation de l’espace scénique suggère la présence des sénateurs dont parle Racine dans sa pièce, suivant dans l’ombre l’évolution des situations.

Un personnage muet -et ajouté par le metteur en scène- traverse le plateau. C’est le c(h)oeur  joué par François Decayeux, un acteur surprenant et imprévisible, doté d’un jeu qui ne manque pas d’invention. Cette présence transforme le mouvement et l’ambiance dans le palais qui devient un lieu où des ombres cachées intriguent dans le noir. Un palais comme un espace unique oui, mais des endroits petits, enfermés et où on écoute aux portes. 

Durant 2 h 25, la musique des vers raciniens nous transporte sans ennui car l’éveil est permanent et des surprises se découvrent à chaque scène. La pièce traverse ainsi les temps et fait écho à bien des situations politiques et sociales des siècles suivants, y incluant le nôtre.  Après la mort de Britannicus, “Plût aux dieux que ce fût le dernier de ses crimes!”  soupire Burrhus, un des conseillers de Néron. Juste pour l’instant : Néron n’a pas encore mis le feu à Rome. Il n’a pas tué sa mère, sa femme et ses gouverneurs. 

Britannicus

Tragédie de : Jean Racine
Mise en scène :  Olivier Mellor

Dramaturgie : Julia de Gasquet

Avec :
  • COMÉDIENS : Marie-Laure Boggio, François Decayeux, Hugues Delamarlière, Marie-Laure Desbordes, Vincent Do Cruzeiro, Rémy Pous, Stephen Szekely.
  • MUSICIENS : Thomas Carpentier (violon), Luis Noble (guitare, saxophone), Séverin Jeanniard ( contrebasse), Adrien Noble (violoncelle).

Durée : 2 h 25

  • Musique originale : Severin “Toskano” Jeanniard
  • Scénographie, machineries : Olivier Mellor, François Decayeux, Severin Jeanniard
  • Son : Séverin Jeanniard / Régie son : Benoît Moreau
  • Lumière/ Régie lumière : Olivier Mellor
  • Vidéo/ Régie vidéo : Mickaël Titrent
  • Costumes : Bertrand Sachy
  • Maquillages : Karine Prodon

Du 5 au 29 Mai 2022 / Jeudi, Vendredi, Samedi à 21 h – Dimanche à 16 h 30


Théâtre de l’‘Épée de Bois  -Cartoucherie- Route du Champ de Manoeuvre-75012 Paris


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