
Voix
Texte & Mise en scène : Gérard Watkins
Une salle vide. Des murs cloqués dans le fond, des papiers sur le sol. Ils attendent…Eux, ce sont des entendeurs et des entendeuses de voix… ”Voix”… C’est le titre tout simple de cette pièce écrite et mise en scène par Gérard Watkins…

Entendeurs de voix
Des gammes agaçantes jouées sur un piano et qui se répètent en boucle…Dans un coin trois jeunes gens qui se parlent, deux filles et un jeune homme… Moins de trente ans… Ils attendent dans cette salle vide aux murs cloqués et au sol jonché de débris de papiers multicolores. Des voix se font entendre faiblement…Des présences ?…Le lendemain d’une fête?…Une voix au micro interrompt la conversation des jeunes gens et annonce que la séance peut commencer…Lui, on ne le voit pas. Il est appelé La Voix. Il parle dans l’ombre et se présente comme le meneur du groupe de parole dont l’objectif ce jour-là est d’avancer dans les prises de conscience des voix. Car ces jeunes gens sont des entendeurs et entendeuses de voix… Cette séance a pour but de les aider à vivre en compagnie de leurs voix, à les réguler, à comprendre d’où elles viennent.
Il y a Manon, issue d’une école de marketing. Elle vit sous l’emprise de la voix de Frau, une personne très âgée qui l’accapare en lui parlant tout le temps, en lui donnant des conseils et en finissant par l’entraîner vers les méandres d’un amour mystique. Au CHU, avec ces symptômes, on l’a qualifiée de schizophrène et mise sous traitement médicamenteux.
Il y a aussi Éloïse tiraillée par la voix d’Amandine, une jeune adolescente dépressive qui tourne en boucle, ment et la tire vers le bas. “Je suis morte, noyée par ma mère”, précise Amandine. De l’autre côté, il y a la voix de Jérôme, devenu pour la jeune fille une sorte d’amant distant qui se plaint et souhaiterait qu’Éloïse avance dans cette vie qu’elle rate à cause de lui.
Le troisième personnage est Clément qui a entendu pendant le confinement une voix qui l’oblige à pousser les limites de son endurance physique. Et d’autres plus facétieuses, philosophiques, amicales, qui l’aident à sortir de sa condition.
Puis arrive Véronique. Elle a 60 ans. Elle arrive presque par hasard, suite à une publicité sur le groupe de parole. Au cours de cette première séance collective, bousculée par ce qu’elle ressent, elle demande à rester seule avec le meneur du groupe. La séance bascule dans une introspection au cœur des nombreuses voix qui accompagnent sa vie. Elle, entend Dieu, un garçon des bois, le morse, et la petite…

Socrate, Ghandi et les autres
Les voix sont entendues dans la mesure où l’ouïe ne fait pas défaut et si quelqu’un nous parle. Certains entendent des voix réelles et distinctes de personnes que l’on ne voit pas et qui n’existent pas physiquement. Des voix qui crient, chuchotent… À d’autres époques de notre histoire, elles étaient une bénédiction, ou le signe que les dieux, les anges ou les fantômes vous parlaient. Ou alors c’était le diable.
Entendeurs et entendeuses de voix disent souffrir de l’émergence de ces voix et dans nos sociétés, ils subissent souvent des traitements médicamenteux et sont qualifiés parfois de schizophrènes. Socrate, Ghandi, le Christ étaient des entendeurs de voix …et ils ont bouleversé l’Histoire. Et si on essayait de comprendre ? Si on se référait à d’autres sociétés qui admettent ces faits ? Qui sont-elles ces voix qui peuvent mener à l’empathie, à l’amour ou au meurtre ? Comment nous rappellent-elles nos expériences de vie oubliées pour les dépasser ? De quelle façon la texture et le contenu des messages nous reconnectent-ils à nos émotions et nous conduisent-ils à ouvrir de nouvelles portes vers nous-mêmes ? Autour de ces voix, Gérard Watkins a écrit une pièce étrange et très belle, jouée avec une grande sobriété par un acteur et trois actrices de talent. Il nous reconnecte, malicieusement parfois, à cette “errance entre le visible et l’invisible” qui caractérise le théâtre.
Les voix : un retour vers le théâtre
Gérard Watkins s’inspire des recherches menées par certains thérapeutes, qui dans les années 90, ont décidé de donner du crédit à “la vie des voix”. Pourtant sa position n’a rien de ce formalisme propre à l’approche des pratiques thérapeutiques. Se positionnant en metteur en scène, ces voix entendues par certains, ouvrent, pour lui, les portes d’un théâtre intérieur. Ici, le sens se contorsionne et s’ échappe parfois vers un imaginaire incontrôlé et en ouverture vers d’autres mondes possibles. Le travail sur la voix -qui est au centre de cette pièce en particulier – a été mené de façon précise par Jeanne-Sarah Deledicq, chanteuse lyrique, coach vocal, et pédagogue, inscrivant le jeu des acteurs dans une choralité avec des personnages invisibles.
Appliquant le principe du travail de groupe basé sur l’interview, Watkins – qui en joue le rôle- devient la voix dans l’ombre, l’organisateur de cette parole qui naît de l’écoute des voix. Celles-ci deviennent dans le jeu des acteurs des personnages de théâtre invisibles. Elles se transforment, infléchissent l’action, jouant sur l’emprise ou le soutien empathique. Les voix changent, les corps se déplacent autrement, s’émancipent de la réalité pour en faire entendre une autre, intérieure et plus profonde. Les personnages qui s’expriment ouvrent aussi une autre porte. Celle qui débouche sur la construction des personnages dans le travail théâtral. Dans la mise en scène de Watkins, sont mis en place des éléments dramaturgiques précis qui donnent une incarnation invisible des voix : les nappes sonores, la musique, la lumière, le rapport au temps, et aux spectateurs. Ces choix soutiennent au début l’action sur un plateau vide, éclairé par une lumière sans relief devenant plus vivante peu à peu.
L’arrivée de Véronique superpose les voix de ses quatre personnages et Infléchit l’action vers tout ce qui n’est pas dit et surtout ce qu’elle ne veut pas entendre. Ses voix intérieures deviennent peu à peu les guides vers les traumatismes de son histoire enfouie. La renaissance est là tout à coup, s’imposant dans la scénographie. Les murs cloqués de cet espace vide s’abattent enfin pour révéler un monde intérieur vivant et harmonieux que Véronique habite enfin. Les situations se construisent autrement, les voix des personnages s’écoutent. Les histoires échangées révèlent l’antériorité d’un monde vivant qui s’est assoupi avec les abus subis, les secrets inavoués et les routes perdues. Le nouveau décor surgi derrière les murs lépreux nous emmène vers une réalité véritablement théâtrale. Les “voix” s’incarnent et deviennent des personnages à part entière. Sous la conduite d’un personnage qui évoque Dionysos, le dieu du théâtre grec, nous voilà transportés dans un décor qui ressemble à une pièce du grand Shakespeare. Peut-être “Le songe d’une nuit d’été” ? Oui, c’est sûr…Le théâtre est bien là !
Voix
Texte et Mise en scène : Gérard Watkins
La pièce a été créée au Théâtre des Îlets – CDN de Montluçon, les 26 et 27 avril 2023. Le théâtre a été aussi coproducteur de la pièce.
Avec : Valérie Dréville, Lucie Epicuréo, Malo Martin, Marie Razafindrakoto, Gérard Watkins et Au Piano : Camille Prenant
- Collaboration artistique : Lola Roy
- Scénographie : François Gauthier-Lafaye assisté de Clément Vriet
- Lumières : Anne Vaglio
- Création et régie son : François Vatin
- Costumes : Ann Williams
- Musique : Camille Prenant
- Travail vocal : Jeanne-Sarah Deledicq
- Régie générale : Nicolas Guellier & François Gauthier-Lafaye
- Régie lumière : Julie Bardin
- Régie plateau : Clément Vriet
Durée estimée : Environ 1 h 15
Du vendredi 5 au dimanche 21 mai 2023
Du mardi au samedi à 20h – dimanches à 16h
Théâtre La Tempête – Cartoucherie 75012 Paris
TOURNÉE
5 au 8 décembre 2023 :
Comédie de St-Etienne