Théâtre - Théorème (d'après Pasolini)/ je me sens un coeur à aimer toute la terre Texte : Amine Adjina / Mise en scène: Amine Adjina & Émilie Prevosteau

Théorème / Je me sens un coeur à aimer toute la terre

Texte : Amine Adjina / d’après « Théorème » de Pier Paolo Pasolini

C’est une maison cossue, au-dessus de la mer…Comme tous les étés, toute la famille s’y réunit à l’invitation de la grand-mère…Cette année tout se bouscule avec l’arrivée de cet étrange garçon qu’elle a rencontré sur la plage…Il répond à une question par une autre question…Il parle, mais que dit-il exactement ? S’inspirant de “Théorème”, le film de Pasolini, avec en résonance une scène de “Don Juan”, la pièce de Molière, Amine Adjina propose un texte dérangeant, qui finit par construire le désordre…En complicité avec Émilie Prévosteau, il assure aussi la mise en scène de la pièce.
Théâtre - Théorème (d'après Pasolini)/ je me sens un coeur à aimer toute la terre Texte : Amine Adjina / Mise en scène: Amine Adjina & Émilie Prevosteau
Photos © Vincent Pontet, coll. Comédie-Française

La mer…Le désir…La plage…

“Souviens-toi du soleil…Souviens-toi du désir…Souviens-toi de la plage…La mer monte comme le désir”… Dans sa chambre, une vieille dame se réveille hurlante car victime d’impatiences dans les jambes. Cette année, la canicule pèse. La santé de la Matriarche se délite chaque jour un peu plus. Nour lui prodigue soins et attention, reprenant la charge d’auxiliaire de vie qu’occupait sa mère, absente pour une maladie qu’on ignore. Le fils et sa famille arrivent. Ils retrouvent comme chaque été la maison cossue, perchée sur des rochers au-dessus de la mer. Comme d’habitude, le Père et la Mère se disputent. Lui, est préoccupé par les affaires de son entreprise et par son pays qu’il juge déliquescent. Elle, s’est habituée depuis des années à jouer l’Épouse, la Mère et la Belle-Fille passant ainsi à côté de sa vie. Leurs enfants nourrissent des velléités artistiques. Réalisant des expositions de portraits vidéos, le Fils se rêve plasticien ou photographe de génie. La Fille se voit déjà comédienne et chanteuse. Elle travaille le rôle d’Elvire dans Dom Juan. La Grand-Mère ne laisse aucune place à sa Belle-fille et affirme qu’à son âge, “on est vrai”. Sur la plage, elle a rencontré un jeune homme charmeur et elle l’a invité. Celui-ci rencontre la famille. Toutes et tous tombent sous le charme envoûtant de ce Garçon étrange qui, dit-il, “a un coeur à aimer tout le monde”. La présence du Garçon agit comme un catalyseur et ouvre à chacun la recherche du plaisir. On s’épie, on se compare, on se blesse…Sur la plage, on tue un poète. La terre tremble. L’extrême droite peut arriver au pouvoir. Les oiseaux hurlent et la mer se déchaîne…Il est temps de laisser exploser les vérités…

Théâtre - Théorème (d'après Pasolini)/ je me sens un coeur à aimer toute la terre Texte : Amine Adjina / Mise en scène: Amine Adjina & Émilie Prevosteau
Photos © Vincent Pontet, coll. Comédie-Française

Du Visiteur dérangeant de Pasolini à la puissance d’Elvire

Partant du film “Théorème”, le film de Pier Paolo Pasolini “parce qu’il nous offrait, dit-il, un large champ d’exploration pour sonder notre propre époque”, Amine Adjina oppose la phrase de Don Juan, “Je me sens un coeur à aimer toute la terre” et il en fait, précise-t-il, “une proposition d’existence” cassant ainsi les faux-semblants et les hiérarchies conventionnelles des protagonistes.
Dans la pièce d’ Amine Adjina, la Fille travaille le rôle d’Elvire, le Garçon s’identifie au personnage de Don Juan. Nour, dans sa discrétion parfois soumise, à la lecture de Don Juan, fait l’expérience d’une rencontre esthétique et finit par s’émanciper. “Théorème” a une valeur de mythe” précise Amine Adjina, et

Molière suggère “une proposition politique et une incitation à la transformation”, ajoute Émilie Prévosteau, la co-metteure en scène de la pièce. Ces choix artistiques n’ont rien de hasardeux. Par opposition au postulat ou au principe, le théorème est une proposition démontrable qui résulte d’autres propositions posées. Les deux metteurs en scène partent d’une famille bourgeoise au sens classique du terme et insèrent des rapports hiérarchiques, empreints d’une certaine familiarité qui débordent dans l’intimité de Nour qui remplace sa mère. Elle est la seule dont on connaît le prénom alors que tous les autres personnages sont désignés par une fonction dans la famille ou comme le Garçon par une position particulière. L’arrivée de celui-ci fait éclater ces hiérarchies et signale les hiatus, les hypocrisies et l’ennui. Se mettent aussi en place les décalages sociaux, les rapports entre pauvres et riches, entre les “éduqués” et les “ignorants”. La Garçon fascine parce qu’il s’affirme totalement libre dans ses choix et ses actions, obligeant chacun à s’interroger sur les relations qu’ils entretiennent. Le décor lui-même, la maison, les mouvements de la mer deviennent un cadre de jeu qui participe aux transformations.

Le jeu théâtral, une amorce des grandes tempêtes

Le théâtre d’Amine Adjina, toujours basé sur les situations et une scénographie précise, travaille, avec une grande finesse, dans un cadre de jeu réaliste qui met en place la réalité métaphorique des situations. Le construction scénographique du décor oscille entre luxe et classicisme, entre ce que l’on montre et ce que l’on veut occulter. Le cadre estival de la maison joue sur la sensualité des situations, alors que les différents escaliers, en fonction de leur situation mènent à des lieux en hauteur, la terrasse où l’on s’épie, se cache ou pour marquer la situation sociale, un espace en sous-sol où vit Nour comme dans un “trou”.
Il faut aussi signaler la précision du choix et de la direction des acteurs, tous issus de la Comédie Française, qui, dans leur ensemble, offrent un jeu d’une précision impressionnante. Nour (Claïna Clavaron) et le Garçon (Birane Ba), sont issus de classes sociales différentes. Leur jeu fait pénétrer dans ce milieu bourgeois et protégé le questionnement issu des exilés qui arrivent par la mer et parfois par effraction. Porteurs de cultures différentes, ils introduisent le questionnement qui va casser les faux semblants. L’interprétation pleine d’humour de Danièle Lebrun (la Grand-Mère) ouvre vers une forme de liberté qui souligne les limites de la famille. Alexandre Pavloff et Coraly Zahonero, le Père et la Mère, prisonniers de leurs principes, tentent de retrouver la liberté de leur jeunesse. Face à eux, leurs enfants (Adrien Simion et Marie Oppert), en dépit de leurs tentatives d’évasion, sont les clones parfaits de leurs parents, enfants gâtés et prisonniers de leur éducation.
Nour et le Garçon quittent la famille et semblent trouver une issue à leur questionnement. Nous sommes au théâtre: la toile de mer comme perspective se déchire, la chambre dehors avec vue, les escaliers désertés deviennent la métaphore d’une réalité portée par l’horizon de la Méditerranée : l’opposition entre le luxe de la maison de vacances et la mer comme lieu de migrations. Dans un jeu des acteurs qui finit par bouleverser un faux ordre des choses, le monde semble enfin s’ouvrir. De cette histoire, il reste finalement “un souvenir de rien du tout, un goût car rien ne meurt”.

“Le monde et le désir ne cessent de toquer à la porte (…) Regarder nos rétrécissements, et tendre sans relâche à accroître notre écoute, notre disponibilité et notre action avec l’Autre” est la proposition politique des deux metteurs en scène. Le projet est ambitieux. Du début à la fin, portée par le travail généreux et exigeant de toute une équipe solidaire et de grand talent, la pièce développe des cheminements insolites et surprenants.

Théâtre - Théorème (d'après Pasolini)/ je me sens un coeur à aimer toute la terre Texte : Amine Adjina / Mise en scène: Amine Adjina & Émilie Prevosteau
Photos © Vincent Pontet, coll. Comédie-Française



Théorème / Je me sens un cœur à aimer toute la terre

Texte : Amine Adjina d’après Pier Paolo Pasolini

Ed. Actes-Sud Papiers

Avec la troupe de la Comédie-Française : Coraly Zahonero, Alexandre Pavloff, Danièle Lebrun, Birane Ba, Claïna Clavaron, Marie Oppert, Adrien Simion

  • Scénographie : Cécile Trémolières
  • Lumière : Bruno Brinas
  • Vidéo : Jonathan Michel
  • Musique originale et Son : Fabien Aléa Nicol
  • Costumes : Majan Pochard
  • Assistanat aux costumes : Cécile Box

Durée estimée : Environ 2 h 15


Du 5 avril au 11 mai 2023
Mardi à 19h
Du mercredi au samedi à 20h30 – Dimanche à 15h

Théâtre du Vieux Colombier
75006 Paris

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