Paris. Vendredi 13 novembre 2015. Soirée de week-end…Faisait-il beau ce soir-la ? Pleuvait-il ? Qui s’en souvient et est-ce si important ? Le fil ténu de notre mémoire en garde pourtant le souvenir marquant d’un trauma : celui des attentats du vendredi 13 Novembre 2015 à Paris…  ”Terrasses”, une pièce récemment écrite par Laurent Gaudé et montée par le metteur en scène québécois Denis Marleau raconte cet épisode terrible sous la forme finale d’un hymne à la vie à ne pas rater…

Les voies du hasard

“Faire théâtre” d’un évènement tragique a été le choix du dramaturge Laurent Gaudé en écrivant “Terrasses”, une pièce construite autour de cette journée  mémorable du 13 novembre 2015 qui se termine ce soir-là par des attentats à la terrasse de cafés et par un massacre au Bataclan, une boîte de nuit très fréquentée à Paris. Circulant sur le fil ténu de la mémoire, Laurent Gaudé nous conduit tout au long de cette journée qui a commencé dans l’habitude et la perspective d’une soirée joyeuse en ce début de week end. Pour les uns, la journée prendra la perspective d’une rencontre amoureuse, pour une autre, elle sera traversée par la colère contre un mari devenu ennuyeux…La pensée intime des uns et des autres s’exprime dans une parole où le temps a éclaté. Le corps, la pulsion du désir ou la banalité qui orientent cette journée, créent ainsi les repères d’une trajectoire qui conduira au trauma et à la mort. La parole, les mots construisent les actions portées par le corps des comédiens dans un choeur qui finit par unir les vivants et les morts. Les trajectoires évoquées rassemblent les policiers, les pompiers, les infirmières et médecins, les clients des bars, les passants…tous ceux qui, ce jour-là, se sont trouvés, sans se connaître, réunis par le hasard qui, désormais va décider de tout, “murmurant entre ses dents une chanson au refrain effrayant : “Toi oui…Toi non…”. Laurent Gaudé s’attache toujours à soigner le fond et la forme de ses récits. Dans “Terrasses”, son écriture s’attache à éviter la réalité du documentaire. Les personnes réelles deviennent ici des personnages de fiction. Racontant les projets des uns, les soucis des autres, cette journée normale se transforme au moment de l’horreur des attentats, en une épopée dont le récit rencontre parfois la tragédie classique. Les regards, les courages microscopiques, les gestes de réconfort racontent l’héroïsme. Les voix tissent le récit, font passer les personnages d’un espace à un autre, ouvrant la réalité vers une forme mythique qui déroule autrement la réalité des évènements. Dans l’horreur de cette nuit-là, naît alors le chant choral des vivants et des morts. 

Une mise en scène d’équilibriste 

La qualité de la dramaturgie de la pièce de Gaudé se trouve portée ici par la mise en scène d’équilibriste de Denis Marleau qui conduit la pièce vers des directions inédites. Les voix chorales des victimes, des passants, des secouristes, des policiers et des parents, des vivants et des morts s’entrelacent et construisent un récit qui s’oppose à la terreur et rend compte d’une humanité restée debout où la parole des terroristes est totalement ignorée. Le récit devient un chant polyphonique qui ouvre la pièce vers la vie et le poétique. La scénographie, le travail de l’image, les lumières, la construction sonore et musicale constituent un écrin remarquable qui accompagne avec délicatesse et précision le jeu subtil et généreux des 17 comédiens. Ce qui est arrivé a été avalé par “ce qui est mort”…La tristesse est restée bien sûr, mais disent-ils, “nous ne sommes pas terrifiés et pas terrassés”. “C’est une histoire terrible, affirme le metteur en scène Denis Marleau, mais en entremêlant les voix des vivants et des morts, en permettant aux récits de prendre forme et en osant y faire surgir la lumière, le texte de Laurent Gaudé crée la possibilité de la vie qui continue”. 

L’auteur Laurent Gaudé et le metteur en scène québécois Denis Marleau renouvellent leur collaboration en présentant au Théâtre de La Colline deux spectacles: “Terrasses”, une pièce récemment écrite et “Le tigre bleu de l’Euphrate”, reprise d’une pièce créée en 2018 à Montréal.