Racine carrée  du verbe être

Racine carrée du verbe être

Texte et Mise en scène : Wajdi Mouawad

Que devient-on quand on reste dans son pays en guerre ? Que serais-je devenu si j’étais resté au Liban ? Que serais-je devenu une arme à la main ? Cette interrogation se pose en creux dans la dernière création de Wajdi Mouawad. 
À la suite de “Mère”, son précédent spectacle qui mettait en scène son arrivée en France en provenance du Liban en guerre, "Racine carrée du verbe être" puise à nouveau dans sa propre histoire pour construire sa pièce autour du personnage central: Talyani Waqar Malik.  
Six heures d’un spectacle tout en ramifications, qui nous transporte du Liban au Canada en passant par la France, les États-Unis, l’Italie…  Un nouveau spectacle de Wajdi Mouawad et de ses compagnons à ne surtout pas rater !

Explosion des lieux et des temps

La scène s’ouvre sur un petit garçon assis à une table et discutant avec un vieil homme. Une image projetée sur un écran envahit tout à coup le plateau et casse la tranquillité et la tendresse de cette scène. C’est celle de l’explosion du port de Beyrouth en 2020. Dès les premières minutes, se dessinent l’éclatement des lieux, l’explosion des générations, des espaces, des temps et la nécessité du déplacement pour se protéger et continuer à vivre. La pièce, raconte Mouawad, est née dans le silence et la solitude intime de la salle de répétitions du théâtre de La Colline fermé en raison du confinement.

Un détail de sa vie personnelle lui revient, devenant le point de départ de la pièce où se font écho les enjeux, les situations et la contemplation intime . “Mon père, raconte-t-il, avait fait faire les passeports de toute la famille et renouvelait à chaque expiration trimestrielle les deux visas qui s’y trouvaient, celui pour la France et celui pour l’Italie, afin d’être en mesure de partir sur-le-champ si la situation dégénérait. Le 22 août 1978, mon père a envoyé mon frère acheter des billets d’avion pour la première des deux destinations disponibles, afin de mettre la famille à l’abri “ le temps que ça se calme”. Le premier vol était pour Paris.”

Racine carrée du verbe être
© Simon Gosselin

Qu’est-ce qui conditionne les déplacements ? Les hasards ? Les décisions ?…Le récit d’une semaine de la vie de Talyani Wagar Malik naît et laisse entendre des voix qui se sont tues ou celles de personnes d’une même famille qui ont émigré à travers le monde et se téléphonent. La conjoncture politique et les faits de situations réelles comme l’explosion du port de Beyrouth convoquent d’autres fantômes ou font naître des personnages. Dans ce contexte les interrogations, les cheminements ou les rencontres se télescopent. Passé et présent se reconnectent, se dispersent et se font écho.

Racine carrée du verbe être

Et si ont faisait un peu d’analyse ? La racine fait penser à l’origine comme la racine des arbres ou des cheveux. Le carré est une figure à quatre côtés égaux et formant un angle droit. Le début du carré est donc son côté qui devient ainsi la racine du carré. Mais quelle est la racine carrée du verbe être ? Être revient ici à chercher, comme dans le carré, la diagonale qui permettra de se rencontrer ou de se retrouver avec les autres et avec soi-même.
Puisant dans sa propre histoire, Wajdi Mouawad explore les ramifications de l’existence de ses personnages. Imbriquant l’intime et le politique, s’échappant vers la physique et la métaphysique, il explore les frontières des situations, des personnages, dans des histoires hors normes qui jouent avec la réalité. Elles nous conduisent aussi vers des espaces et des temps qui explosent, se confrontent, ouvrant de nouvelles opportunités à des personnages qui, au-delà de la guerre et de l’explosion du monde, tentent de conserver un cap à leur humanité.

Une scénographie autour du carré et des angles droits

Emmanuel Clolus, complice fidèle du metteur en scène sur la plupart de ses spectacles, organise sa scénographie autour du carré et des angles droits, mais aussi autour de l’éclatement du monde symbolisé sur un écran par des images de maisons explosées, de matières en morceaux et de morts qu’on ne voit pas. Dans une telle configuration, le réel se construit dans l’éclatement des situations et de l’histoire de la famille dispersée à travers le monde. Qu’est-ce que le réel ? Est-il hors de notre portée? Est-ce une illusion ? Pourquoi ne suffit-il pas à trouver le sens ? Le spectacle se construit entre 1978, année du départ du Liban et fin de l’enfance de Talyani et août 2020, date de l’explosion du port de Beyrouth, devenant le symbole d’un nouvel éclatement du monde. Pourtant au-delà du malheur, avec des textes qui, depuis presque trente ans se répondent, se creusent, affrontent une violence en miroir, Mouawad, au-delà de la tristesse et de la douleur, parvient toujours à trouver un chemin d’espoir qui apaise et ouvre une porte à l’imagination et à la création.
“Mes personnages, précise l’auteur, sont comme une fratrie issue d’une obsession presque archaïque, présente dès mes neuf ans, obsession qui a surgi lorsque mes parents ont décidé du jour au lendemain que nous allions quitter le Liban à cause de la guerre”. Le spectacle se découpe en trois parties que l’on peut voir séparément ou dans leur intégralité. À son habitude, dans cette histoire hors normes, Mouawad abat les frontières entre son histoire personnelle et celle du monde, avec cette question qui traverse la plupart de ses spectacles: qui pourrait certifier que le monde n’est pas une illusion ?

La dernière scène est une boucle et revient à l’évocation joyeuse du début, celle du pays de l’enfance: la famille est réunie pour l’anniversaire des dix ans du petit garçon alors que rien n’est encore écrit. Une fin toute en émotion qui a uni la salle pleine à craquer dans une standing ovation spontanée. 


Racine carrée du verbe être

Création

Texte et Mise en scène : Wajdi Mouawad

Assistanat à la mise en scène : Cyril Anrep et Valérie Nègre


  • Dramaturgie : Stéphanie Jasmin
  • Scénographie : Emmanuel ClolusLumières : Éric Champoux
  • Conception Vidéo : Stéphane Pougnand
  • Dessins : Wajdi Mouawad et Jérémy Secco
  • Musique originale : Paweł Mykietyn
  • Conception Sonore : Michel Maurer assisté de Sylvère Caton et Julien Lafosse
  • Costumes : Emmanuelle Thomas assistée de Léa Delmas
  • Maquillages et Coiffures : Cécile Kretschmar

Avec : Maïté Bufala*, Madalina Constantin, Jade Fortineau, Jérémie Galiana, Delphine Gilquin*, Julie Julien, Jérôme Kircher, Norah Krief, Maxime Le Gac-Olanié, Wajdi Mouawad, Anna Sanchez* Merwane Tajouiti*, Richard Thériault, Raphael Weinstock

*membres de la Jeune troupe de La Colline

Enfants en alternance: Balthazar Mas- Baglione, Adam Boukhadda, Colin Jolivet, Meaulnes Lacoste, Théodore Levesque, Ulysse Mouawad, Adrien Raynal, Noham Touhtouh

Et les voix de : Juliette Bayi, Maïté Bufala, Julien Gaillard, Jacky Ido et Valérie Nègre

Durée estimée de l’ Intégrale : environ 6 h


Théâtre de La Colline
15 Rue Malte Brun 75020 Paris

du 8 Octobre 2022 au 18 Décembre 2022 – Relâche lundi, mardi

  • Partie I et II: mercredi à 19h30
  • Partie III : jeudi à 20h30
  • Intégrale : samedi à 16h, dimanche à 13h30
  • Et vendredi 4 et 18 novembre, 2 et 16 décembre à 17h30
  • Du 21 au 30 décembre
  • Intégrale à 17h30
  • Relâche du 24 au 27 décembre
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