Théâtre - "Nul si découvert" - Texte et Mise en scène: Valérian Guillaume

Nul si découvert

Texte & Mise en scène : Valerian Guillaume

Olivier Martin-Salvan, magnifique acteur qui, pendant de nombreuses années a joué Valère Novarina, est ici seul sur le plateau de “Nul si découvert”, un texte écrit et mis en scène par Valérian Guillaume. ”Il est issu de la marge et de l’invisible, nous précise l’auteur, et devant lui, les gens ne s’arrêtent jamais”…En fait, c’est un drôle de type qui passe ses journées au centre commercial…Il raconte…Il ouvre des mondes…Il se perd…   
Théâtre - "Nul si découvert" - Texte et Mise en scène: Valérian Guillaume
Photos © Fanchon Bilbille

Porté par une parole fleuve…

Seul, sous un abribus déserté, en tenue de plongeur, sur le coin d’un banc, il regarde et dès sa première parole, il nous dit sa difficulté à communiquer avec les autres depuis la mort de sa mère. Pourtant les mots s’alignent et il parle sans s’arrêter. Qui est-il, cet homme sans nom ? Un laissé pour compte ? Sans doute. Au bord du centre commercial ou parcourant ses allées, portées uniquement par ses mots, surgissent les solitudes, les duretés mais aussi la perception d’une forme de poésie du monde…Il raconte les aventures minuscules qu’il vit dans ce centre où personne ne le remarque ou ne le regarde…Il observe les gens qui passent, il se réjouit des petites jouissances du moment, car sa distraction principale est de saliver devant les produits des rayons, de se jeter sur les distributeurs de friandises et les buffets en libre service. Son plaisir essentiel consiste à “voyager de produit en produit pour le plaisir de la découverte”, à se gaver mentalement de toutes les marchandises qui, sur les étalages, font briller ses yeux et qu’il avale gloutonnement quand il les possède…Et puis il y a les gens qui passent, Martine, la gentille vendeuse d’un magasin ou Leslie, la jolie caissière de “La baleine”, la piscine du centre, qui l’accueille avec tant de gentillesse et le fait rêver…Et puis, au fond de lui, il y a son “démon goulu” qui le pousse à s’empiffrer et lui demande parfois des choses incroyables…Valérian Guillaume, auteur et metteur en scène a adapté pour le théâtre son roman écrit sans ponctuation, comme une seule phrase et certainement influencé par Georges Pérec. Le corps puissant d’Olivier Martin- Salvan s’empare des mots du texte qui semblent surgir d’eux-mêmes et vivre leur vie. Il les régurgite, les savoure, nous fait partager sa voracité de la nourriture, mais aussi sa voracité des mots. La chair de ses mots se collent à ses pulsions que la société lui interdit de montrer : ses larmes, ses gouttes dans le slip, sa transpiration… Il nous porte d’idées en images dans un récit qui essaie de cerner dans la déroute, son histoire, ses sentiments et ses sensations.

Une poésie du péri urbain…

Théâtre - "Nul si découvert" - Texte et Mise en scène: Valérian Guillaume
Photos © Fanchon Bilbille

“Ce spectacle est un questionnement sur la marge et la périphérie”, nous précise Valérian Guillaume. Tout son travail d’écrivain et de metteur en scène a consisté à faire surgir de la parole banale de cet homme, qui s’exprime sans démonstration, les à-côtés d’une poésie que l’on ne perçoit pas. Le quotidien du personnage prend la forme d’une odyssée intérieure qui laisse émerger un monde qui n’appartient qu’à lui. Les digressions surgissent d’un l’esprit en marge d’une soi-disant normalité et construites sur les hallucinations et les visions suscitées par un environnement perçu comme hostile.
Les mots et non les déplacements de l’acteur donnent le mouvement et font progresser la fable. Olivier Martin-Salvan, dans une maîtrise totale du jeu, s’appuie uniquement sur son corps immobile mais vibrant d’une énergie intérieure qui le submerge. Sa voix se perd parfois dans des rires exagérés, exprimant une joie solitaire et totalement à la marge des normes sociales habituelles. L’infime, le banal se perd dans le discours fleuve de ce personnage qui, dans l’anonymat, épouse et observe les moindres détails du monde qui l’entoure. Ressort aussi l’hostilité d’un environnement destiné à la consommation de masse, au loisir formaté et totalement fermé à l’échange et au regard.

Qui est le monstre en moi ?

“En dégurgitant la somme de mots qu’il a emmagasinés et l’histoire qu’il gardait en lui comme un secret. Passionné par ces zones commerciales qu’inlassablement, jour après jour, il parcourt en quête de stimulation, souligne Valérian Guillaume, (…), le personnage est un golem composé de ces rayons garnis, de ces lumières violentes, de ces caisses automatiques sonores, de ces musiques toujours un peu trop fortes” .
La banalité de l’environnement permet à son personnage de s’évader vers une réalité qui échappe à celle du centre commercial. Son langage d’une naïveté absolue devient pour lui le moyen d’ingurgiter le monde et de lui donner un sens qui lui permet de se situer. Il peut ainsi revivre l’enfance perdue et faire émerger la tendresse. Le talent et la maîtrise du jeu d’Olivier Martin- Salvan est de s’emparer de cette parole sans hiérarchie. On passe par les surprises des jeux-concours et les passions amoureuses déclenchées par le moindre mot ou le moindre regard. L’acteur pousse les mots et se laisse surprendre par eux, faisant surgir les pulsions et les manifestations du quotidien. Donnant un espace à cet univers inquiétant, tribune ou gouffre froid, parfois anxiogène, la scénographie de James Brandily s’appuie sur la composition musicale de Victor Pavel, la création sonore de Margaux Robin pour marquer l’humour, les contrepoints et les moments poétiques. Peu à peu, conduit par son principe de l’inventaire, cet homme au milieu d’un espace qui ressemble à nulle part, nous “avale” avec les mots déjà gorgés du monde qui l’entoure.

Une danse au-dessus des volcans

Jusqu’à la fin, le personnage poursuit sa descente ou son ascension, dans un paysage urbain qu’il est le seul à occuper. Totalement inadapté à cette société qui l’ignore et que ses récits transforment et enchantent, les histoires qu’il imagine, construisent son voyage intérieur. Le monde contaminé par “l’irruption du démon” se manifeste et s’embrouille sous la forme des graphies mobiles, imaginée par Pierre Nouvel, et projetées au-dessus de l’arrêt d’autobus. Elles deviendront une réalité vivante, créant ainsi une complicité performative entre le texte et l’acteur. L’environnement inquiétant et dangereux, en se transformant, renvoie tour à tour à une tribune ou à un gouffre. Seul habitant de ce paysage urbain vide, le personnage continue cette odyssée du quotidien, une danse au-dessus des volcans d’une société inadaptée à ses rêves et à ses désirs. Progressivement, le décor, contaminé par l’irruption du démon, se transformera devenant la page vivante de cette parole-monstre, ouvrant enfin la voie vers “le grand dodo” dont lui parlait sa mère avec tendresse. Sans jugement et sans effets, Olivier Martin-Salvan nous colle en tant que spectateur au corps de son personnage. Il nous permet de prendre la mesure intime de ce qu’il veut nous faire comprendre et surtout ressentir, de la pulsion la plus sordide à la poétique du quotidien. Un très beau spectacle à la parole surprenante et rare au théâtre.



Nul si découvert

Texte & Mise en Scène : Valérian Guillaume

D’après le roman de Valérian Guillaume publié aux éditions de l’Olivier (2020)

Avec : Olivier Martin-Salvan

  • Adaptation et Dramaturgie : Valérian Guillaume et Baudouin Woehl,
  • Scénographie : James Brandily
  • Vidéo : Pierre Nouvel
  • Composition Musicale : Victor Pavel
  • Création Lumière : William Lambert
  • Costumes : Nathalie Saulnier
    Création Sonore et Régie Générale : Margaux Robin

Durée estimée : Environ 1 h 30


Vu au Théâtre de la Cité Internationale – 75014 Paris

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