LWA
Conception et Mise en scène : Camille Bernon et Simon Bourgade
Fondée par la collaboration de Camille Bernon et Simon Bourgade, à peine sortis du Centre du Centre National Supérieur des Arts Dramatiques (CNSAD) en 2015, La Compagnie Mauvais Sang se dessine un avenir prometteur à travers des spectacles engagés qui portent un regard théâtral novateur sur le monde qui nous entoure. Associant la culture contemporaine et certaines références classiques, les langages scéniques comme le théâtre, le cinéma, la danse, ils s’interrogent sur les moments de crise d’une société ou d’un individu. Avec “LWA”, leur spectacle actuel, ils imaginent une approche tout à fait novatrice de la mise en scène et du jeu des acteurs.
Se glisser dans les silences de l’histoire
La salle et la scène sont éclairées, sur le plateau un groupe de personnes filme et met en place le discours d’un Président de la République Française.“ Crise de sens et d’identité, dit l’animatrice, la priorité est de rétablir l’ordre public pour les enfants de la République !…” Le président se trompe, les coachs s’affolent, on renvoie La Marseillaise, on reprend et le film n’avance pas !…Noir sur le plateau…Projection d’un film : un homme, une capuche sur la tête, invisible dans l’ombre raconte…L’homme est un esclave des époques coloniales et comme revenu de la nuit et du passé, il raconte les tortures, le mépris et l’asservissement.
Autour de la devise de la République Française, “Liberté, Égalité, Fraternité”, trois récits se construisent sur ce socle. Le premier évoque les soulèvements d’esclaves, le second les tortures des militaires pendant la guerre d’Algérie et le troisième les révoltes des jeunes en 2005 dans les banlieues françaises, survenues à la suite de la mort de deux jeunes, électrocutés dans l’enceinte d’un poste électrique dans lequel ils s’étaient cachés pour échapper à un contrôle de police.
Trois moments précis qui, au-delà de l’Histoire, parlent de la résistance des corps abimés face à la torture ou l’agression. À partir de ces trois évènements qui font désormais partie de l’Histoire de France, Camille Bernon et Simon Bourgade se glissent dans le silence des institutions, des gouvernements et même celui des personnes directement concernées par ces agressions. Et tous ces silences continuant de hanter l’imaginaire des temps présents.
“Les Mystères” et “les Invisibles”
De quelle façon ces silences issus des histoires coloniales continuent-ils à gangréner aujourd’hui encore les relations et les imaginaires ? De quelle façon les jeunes générations supportent-elles ce passé irrésolu ? s’interrogent les auteurs et les acteurs de la pièce.Tous sont français ou arrivés en France quand ils étaient enfants, mais la plupart sont “issus de la diversité”, leurs parents ou leurs ancêtres proches étant nés dans des pays anciennement colonisés par la France.
“Nous avons eu l’intuition, précisent Camille Bernon et Simon Bourgade, que notre héritage colonial joue un rôle prédominant dans la persistance des racismes d’aujourd’hui ; avec LWA nous avons voulu retourner jusqu’à ce qui semble en être le point d’origine”.
C’est en se fondant sur la tradition vaudou que les deux créateurs de la pièce ont trouvé une direction qui s’apparente à une recherche anthropologique et mythique. On les appelle Les “Mystères” ou les “Invisibles”, ou les Lwa. Ce sont ces esprits qui servent d’intermédiaires entre le Créateur lointain et les humains. Le Lwa “chevauche” aussi l’officiant en cours de rituel. Comme ces Lwa qui se manifestent sous la forme de transe, le souvenir violent de la colonisation continue, pensent les créateurs de la pièce, de traverser les esprits et vient hanter les descendants.
Construire le récit collectif
Les auteurs et metteurs en scène, sans aucune démonstration intellectuelle, ont basé tout le travail de mise en scène et le jeu théâtral sur le corps des comédiens. Le passé traumatique est raconté dans le mouvement. Le rythme musical, la chorégraphie répétitive et chorale soutiennent les mots qui jaillissent, en accord avec le mouvement des corps, suggérant les Lwa qui chevauchent les participants dans les rituels vaudous. La dureté des récits, la colère, la peur et la revanche finissent par se dissiper dans des rythmes lancinants, porteurs d’apaisement et d’ouverture.
“L’inconscient collectif peut lui aussi être conçu comme un grand corps, affirment les créateurs. Les violences sociales que nous connaissons aujourd’hui, et que nous considérons à tort comme des nouveautés, ne sont que les symptômes persistants d’un traumatisme historique dont nous ne pourrons nous guérir que lorsque nous le mettrons collectivement en récit”.
La mise en scène, le récit porteur à la fois de violence et d’espoirs, le jeu en mouvement des comédiens, la distance des récits filmés revisitent de façon tout à fait nouvelle l’approche d’un théâtre vivant. Comme la tragédie grecque, la pièce “Lwa” est porteuse d’une catharsis qui permettrait la libération de ces éléments de mort, refoulés dans l’inconscient collectif. Les non-dits qui hantent les mémoires et empoisonnent les relations des vivants d’aujourd’hui seraient ainsi abolis. Bâti à partir de différents matériaux fictionnels, mêlé à des documents réels (récits d’esclaves, témoignages de révolutionnaires, discussions législatives, entretiens psychiatriques), LWA fait écho aux mouvements d’insurrections contemporains, qui, selon la jolie formule de l’écrivain antillais Edouard Glissant, offrirait une “vision prophétique du passé” pour ainsi comprendre et mieux vivre le présent.
LWA
Conception et Mise en scène :
Camille Bernon et Simon Bourgade
Collaboration artistique et Jeu :
Salomé Ayache, Naïs El Fassi, Ahmed Hammadi, Benedicte Mbemba, Souleymane Sylla, Jackee Toto
Durée estimée : 1 h 40 environ
- Scénographie : Benjamin Gabrié
- Son : Vassili Bertrand en alternance avec Quentin Hilaire
- Lumière : Coralie Pacreau
- Vidéo : José Gherrak
- Costumes : Gwladys Duthil
Du 17 novembre au 3 décembre 2022
Théâtre Paris-Villette – 211 Avenue Jean Jaurès -75 019 Paris
Tournée 2022-2023
Espace des Arts – Chalon sur Saône • 13 et 14 décembre 2022
Théâtre de Rungis • 28 janvier 2023