L’apocalypse zombie a eu lieu. Un nouvel ordre social est en train de s’inventer …Les zombies ? Non pas, ces morts-vivants des traditions vaudous, mais ceux imaginés par la compagnie Scena Nostra dans un texte écrit et mis en scène par Julien Guyomard. Ces zombies-là, associés aux humains deviennent des “Méritants”.  Une pièce étrange, qui captive et agace parfois, qui retient et nous interroge…Elle se joue dans la salle Copi du Théâtre de La Tempête jusqu’au 22 Octobre.    

C’est pas la fin du monde !…

“Nous sommes les seuls à avoir survécu, mais c’est pas la fin du monde !…”  Nous voilà fixés après un début de spectacle où celui qui se présente comme l’organisateur du Comité nous invite à participer à la réunion. Répartir les tâches, se rendre la vie possible, faire un point sur la vie collective, rétablir une auto-suffisance sont les directions à suivre pour ré-instituer un environnement démocratique et résister à l’invasion des zombies. Les humains sont les survivants retranchés derrière des barricades face aux “sous-vivants” (peut-être nos doubles monstrueux) que sont les zombies. Les humains sont en haut de l’échelle sociale alors que la cohorte des zombies pédale sur un vélo pour faire de l’électricité afin d’éclairer les humains. Un jour, le zombie Clairvius parvient à passer de l’autre côté et à intégrer le Comité Central dirigé par les humains…Si l’un y parvient, les autres zombies vont pouvoir peut-être devenir eux aussi des méritants…Bienvenus ? La question est là. À moins que l’ascenseur social ne se soit enrayé pour les humains… 

Le mérite et après ? …

“Si on veut, on peut”. Qui n’a entendu ce dicton pour obtenir un diplôme, une bonne note, une augmentation de salaire…Poser cette donnée, c’est aussi interroger le système social mis en place. Celui qui affirme le mérite de certains tout en soulignant les inégalités sociales, intellectuelles d’un système dominant et socialement hiérarchique. Une question essentielle est posée dans cette pièce . Quelle place mérite-t-on ? De quelle façon se met en place le mécanisme de la domination et le mythe du self-made-man (et non du self-made woman signale l’auteur) ? Partis de ces questions, le travail de Julien Guyomard et des comédiens a consisté à poser dramaturgiquement ces paradigmes afin de mieux les déconstruire. S’interroger sur l’égalité des chances, sur la qualité d’employeur, l’organisation de l’entreprise avec ses fausses valeurs de promotion mettent en exergue la notion de mérite. Proposer aux zombies de devenir des méritants décale la réalité. Les humains, même les moins favorisés socialement, continuent à être des dominateurs. C’est eux qui décident des zombies les plus méritants. Le système est tronqué et sa “construction idéologique” n’est jamais remise en question. La méritocratie, insiste l’auteur, est une illusion car le système est en fait une course au pouvoir entre les humains alors que les zombies deviennent ceux qu’il faut dominer. 

La scène comme terrain de jeu

Organisée autour de l’image du zombie, la pièce de Julien Guyomard est loin de raconter l’horreur représentée en général par ces personnages. Ici la construction se base sur une coexistence entre humains et zombies et formalisée de fait comme une société naturellement construite à deux vitesses. “Qu’est-ce qu’être employeur, collègue de bureau ou femme d’un zombie? Qu’est-ce qu’être à table, au lit, au travail avec un zombie? Comment se passe une discussion politique, un entretien d’embauche avec un zombie ?”

Dans la pièce, en dépit de la précision du jeu et d’une prise en charge rigoureuse des situations, le déroulé de l’intrigue et le rôle des personnages sont parfois difficiles à suivre dans leur logique. Cependant la mise en scène, la scénographie très élaborée et précise, le jeu vivant et engagé des acteurs font de la scène un terrain de jeu où tout bouge et s’organise avec beaucoup d’humour. La confusion des situations, les tentatives de solutions proposées jouent avec le déplacement incessant des décors, des portants et l’arrivée des mêmes acteurs dans un rôle de zombie ou d’humain. Cette “recherche”  et cette mise en place, qui changent en permanence, rendent compte de la confusion des situations, de l’obligation de composer en permanence avec l’autre et avec soi-même.

La pièce de Guyomard, interprétée par des acteurs au jeu inventif, érige un questionnement permanent qui souligne les contradictions de nos sociétés. Qui sont ces zombies qui ressemblent étrangement à ces réfugiés qui frappent à nos portes ? De quelle façon se posent nos dominations et nos prétentions “d’humains évolués” ? Sommes-nous réellement si méritants ?  La pièce n’a pas la prétention d’offrir des réponses, elle n’est que questionnement. Et n’est-ce pas là l’essentiel du théâtre ?