Le Sel
Texte de : Karima El Kharraze & Christelle Harbonn
Mise en scène : Christelle Harbonn
“Mellah”. En hébreu et en arabe, le mot est le même et signifie le sel. Dans ces traditions, le sel est un symbole fort. “On dit que si deux personnes parviennent à partager “un repas” de sel, ils sont des amis fraternels”. Organisée autour de deux histoires, en des temps différents, “Le sel”, une pièce co-écrite par Karima El Kharraze et Christelle Harbonn qui en assure également la mise en scène, est portée par trois langues et deux couples.
De la juxtaposition des faits, des temps et des langues
Dès le début de la pièce, nous voilà projetés dans des espaces et des temps qui se télescopent, se croisent et s’organisent autour de deux couples.
1890. Quartier juif de Marrakech au Maroc. Ici on parle arabe. Ephraïm est amoureux d’Ephrat, mais il la quitte pour étudier en Terre Sainte et devenir rabbin.
2020. Jésus, l’arrière petit-fils d’Ephraïm est installé avec son compagnon à Paris. Ils parlent d’adopter un enfant, mais Jésus s’interroge sur ses origines. Comme son ancêtre il décide de partir à Jérusalem pour mieux se retrouver.
L’histoire d’Ephraïm, marocain juif amoureux et marié à une musulmane au XIXème siècle, fait écho à celle de Jésus, son descendant, qui, de mère non-juive, n’est pas assez juif pour les rabbins, et presque anormal pour sa tante Suzanne, parce qu’il est homosexuel.
À plus d’un siècle d’intervalle, les deux histoires se croisent, racontées en trois langues : le français, l’arabe et l’hébreu. L’histoire d’Ephraïm qui part du Maroc en 1890 et celle de Jésus qui, en 2020, part sur les traces de ses ancêtres raconte aussi en filigrane l’exil de la diaspora des juifs du Maroc. En quittant leur pays d’origine, les histoires se rencontrent et se jouent, pour chaque personnage, le décalage des langues, des repères et la possibilité de quitter le présent pour retrouver son passé. Le sel redessine de façon symbolique le quartier des juifs, qui, au Maroc se nommait Mellah, le sel en arabe. Le sel, qui en hébreu s’appelle aussi Mellah devient ici lien de l’amour, de la fraternité et du retour vers soi-même. En perdant leurs racines immédiates, Ephraïm en 1890 comme Jésus en 2020, suivent leurs propres pas et deviennent les créateurs d’un autre chemin pour eux-mêmes et leurs proches.
De la digression des faits et de l’Histoire
Tout au long de son déroulement, passant d’une époque à l’autre, le spectacle est construit autour des digressions. Digressions de la fable, éclatement des temps et des espaces. Les acteurs au nombre de trois, d’une efficacité et d’un rayonnement magnifique jouent la vingtaine de personnages de la pièce. En quelques minutes, dans une scénographie épurée et au cordeau, on passe de Paris au désert de la Palestine ou au quartier juif de Marrakech.
On passe d’une langue à l’autre et les histoires se déroulent sans temps morts Elles se croisent avec une rapidité et une précision qui soulignent l’écoute et le soutien permanent du jeu des trois comédiens qui prend l’allure de jeux d’enfants se lançant des défis.
“C’est un spectacle qui n’est pas développé de manière objective, mais plutôt du point de vue du rêveur” souligne la metteure en scène. Et de fait, cette vision permet de mélanger sans choquer les faits, les époques et les représentations, favorisant les émotions à travers le récit d’histoires intimes, introduisant de façon subtile la symbolique et cassant le côté didactique de l’Histoire.
Le trajet suivi par les deux couples comporte des violences et des refus, pourtant le partage du sel conduit toujours à des situations qui balaient la violence pour laisser aux émotions contradictoires la possibilité de se dissoudre, voire de se répondre.
“Toutes les diasporas, nous précisent Karima El Kharraze et Christelle Harbonn, ont au moins deux points communs : l’éclatement des familles et le déchirement des amitiés pour des raisons politiques”. Face à ces réalités, l’ensemble de l’équipe artistique a choisi de rêver et de nous faire voyager dans des fables intimes et symboliques, cassant le monde d’aujourd’hui qui entretient les distances : celui des écrans, des voitures, des virtualités numériques qui, dans leur utilisation excessive, oblitèrent la poésie du réel.
Parler c’est exister et mettre des mots sur l’existence de l’autre. “Le Sel” est une pièce à voir pour sa complexité qui fait naître en fin de parcours la simplicité quand les non-dits ont été exprimés. Une pièce forte dans une scénographie inventive et tout en mouvement, jouée par des comédiens généreux, portés par une mise en scène très enlevée qui nous ouvre les portes du temps et des espaces .
Le Sel
Texte : Karima El Kharraze & Christelle Harbonn
Mise en scène : Christelle Harbonn
Avec: Michael Charny, Tamara Saade, Gilbert Traïna
- Dramaturgie : Karima El Kharraze
- Traduction : Karima El Kharraze & Michael Charny
- Scénographie : Sylvain Faye
- Musique : Gwennaëlle Roulleau | Oud : Jean-François Oliver
- Création lumière : Jean-François DominguesCréation
- Costumes : Camille LemonnierRégie
- Plateau et régie générale : Marion Piry
Durée estimée : 1 h 30
Spectacle créé en novembre 2021 au Théâtre National de Marseille la Criée.
Vu en janvier 2023 à L’Echangeur de Bagnolet -92170 Bagnolet
- Tournée 22/23 :
- Du 23 au 31 janvier 2023 Théâtre de l’Échangeur | Bagnolet
- 7 février 2023 Théâtre de Châtillon