Théâtre - "Le monde et son contraire" : Texte : Leslie Kaplan - Mise en scène: Antoine Devaux

Le monde et son contraire

Texte : Leslie Kaplan

Mise en scène & Jeu : Antoine Devaux

"Kafkaïen" pour moi ça voulait dire... des emmerdements administratifs absurdes, inexplicables (…) des couloirs sans fin, des gros bâtiments dans lesquels on erre et personne ne vous dit où aller.”  C’est autour de cette idée que Leslie Kaplan écrit “Le monde et son contraire”. Une pièce dérangeante, aux propos décapants, mise en scène par Antoine Devaux qui interprète un drôle de personnage qui s’appelle Franz Kafka…  

Un gros cafard nommé Kafka

Le plateau est plongé dans l’ombre. En son centre, une sorte de “tissu” qui parle et s’agite…Des doigts noirs, puis des bras sortent de ce tissu informe et blanc…Les mots se succèdent …« On m’a dit que je ressemblais à Kafka, mais maintenant que je le joue, je me demande ce que ça veut dire et comment avoir le regard triste de celui qui a écrit “La Métamorphose”.
Dans la lumière, surgit l’acteur, le corps habillé d’un étrange costume, celui du cafard que Kafka décrit dans son roman pour essayer de comprendre notre monde. Ce monde qui nous dépasse embarrassé de ses contradictions absurdes. A travers le personnage de Kafka et le portrait qui en est fait, l’acteur sans nom nous raconte son propre parcours. Les cabrioles de son “cafard”, personnage central du roman de Kafka, mettent en scène la propre histoire de l’acteur, un être étrange aux prises avec les brutalités de son père et qui ne se reconnaît pas dans la société absurde et violente dans laquelle il vit. Les mots, la réflexion sur Kafka lui-même et sur le texte de “La Métamorphose” lui permettent de mettre à distance son mal-être tout en mettant en mouvement la sensation physique de l’enfermement dans lequel il vit.

La partition physique de la vermine

Pour casser les cases dans lesquelles le personnage est enfermé, Antoine Delvaux crée un jeu de l’acteur basé sur “une partition physique [ qui devient une ode ] aux êtres étranges” que nous portons en nous. Les mouvements deviennent des danses anarchiques, des rires fous et s’expriment dans le décalage des voix, car dit l’acteur, “tout le monde peut devenir un cauchemar (…), n’importe qui peut tomber en dehors de l’humanité”. L’employé modèle se transforme en une vermine car ne plus exister peut surgir de papiers qui manquent ou de l’enfermement dans une catégorie sociale. Pour en sortir, la littérature permet au personnage de mettre des mots sur la société dans laquelle il vit. Face à l’absurdité de son existence, face à un père brutal, la parole lui permet de sortir de ce sentiment d’illégitimité et de l’inquiétante étrangeté qu’il représente aux yeux des autres.
“Briser la mer gelée qui est en nous » disait Kafka. Jouer comme un fou, tenter d’être un autre, risquer de paraître anormal est le défi que se lance Antoine Devaux en tant qu’acteur. Il se transforme en un être bizarroïde au jeu parfois trop excessif et qui finit par friser le démonstratif. Pourtant, l’acteur et metteur en scène assume ces choix qu’il estime fondamentaux pour, dit-il, “ laisser jouer la foule qui est en soi (…) [et se battre] pour sauter en dehors de la rangée des assassins”.

Désamorcer et entremêler les formes

« Un matin au réveil au sortir d’un rêve agité, Gregor Samsa se trouva transformé en une véritable vermine”. Ces premiers mots du texte de Kafka ont servi d’exutoire et de construction à la mise en scène et à la scénographie créée par Loana Meunier.
Le texte de Leslie Kaplan est construit comme une succession de rêves qui entremêlent les tableaux successifs et déstabilisent le réel. Le plateau recouvert de tissus sales, de papiers de toutes sortes est l’espace dans lequel se déplace ce corps burlesque qui évoque parfois le jeu du clown, de la marionnette ou celui d’un Charlie Chaplin plus gauche. Le sol souillé est le lieu du jeu et de la captivité physique qui réside dans le lieu lui-même ou dans la tête. L’action sur ce plateau “hors du temps et de l’espace”, est porté par un dialogue avec les lumières de Titiane Barthel qui jouent sur l’incertitude. Les matériaux sonores déformés comme des respirations, des craquements divers et inquiétants se mêlent aux tonalités classiques et à de la musique électronique. La partition sonore de Jeanne Susin crée un univers ambigu, souligne le cauchemar sous-jacent et la déformation de la réalité.“Cette partition sonore, précise Antoine Devaux, est l’une des brèches d’un réel qui se déchire – et que l’acteur tente de recoudre en se réappropriant la parole”.
Prisonnier et enfermé dans sa chambre et dans sa tête, surgissent les fantômes de l’enfance ou ceux qui vivent dans les murs de la pièce. Le plateau devient alors le lieu du conte que l’on invente pour se sentir exister ou pour traverser les duretés de la vie. Pour briser les silences, Kafka a choisi d’affronter la vermine en soi et son contraire, le monde extérieur. Le texte très beau et souvent poétique de Leslie Kaplan nous permet de dépasser les mots utilitaires, car choisir de parler selon ses désirs revient à sortir de la cage. Se confronter à l’univers sombre et inquiétant des ombres qui nous entourent revient à ouvrir son imaginaire. L’univers du conte devient ainsi la seule forme qui permet d’ adoucir le monde réel et d’y survivre. “Je n’espère pas la victoire, mais c’est la seule chose à faire” est la conclusion de cette pièce tendue du début à la fin dans ce combat inutile. Lorsque la pièce se termine, le plateau totalement envahi de papiers, de saletés, de rêves envolés est devenu cet espace en reconstruction et qui représente la seule issue pour demeurer en vie.

Théâtre - "Le monde et son contraire" : Texte : Leslie Kaplan - Mise en scène: Antoine Devaux
Photos © Cie Fracas Lunaire



Le monde et son contraire – Création 2022

Texte : Leslie Kaplan

Éditions P.O.L

Mise en scène & Jeu : Anthony Devaux

  • Assistant à la mise en scène : Julien Toinard
  • Direction d’acteur : Esther Wahl
  • Scénographie : Loana Meunier
  • Création lumière : Titiane Barthel
  • Création sonore : Jeanne Susin
  • Costume : Anatole Mennessier & Max Rapetti-Mauss

Durée estimée : Environ 1 h 05


Du 27 Avril au 20 Mai 2023 – Du Jeudi au Samedi à 19 h

Théâtre les déchargeurs- 75001 Paris

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