Théâtre / Le manteau, d’après une nouvelle de Gogol

Le Manteau

D’après la nouvelle de Nicolas Gogol

Adaptation : Serge Poncelet

Mise en scène : Serge Poncelet et Guy Segalen

Nikolaï Vassilievitch Gogol était ukrainien. Il part à Saint Pétersbourg à l’âge de 20 ans pour faire une carrière dans l’administration russe. Encouragé par Pouchkine, il finit par se consacrer à partir de 1831 à la littérature et devient un des plus grands écrivains de la littérature russe. "Le Manteau", nouvelle fantastique, fait partie  du recueil intitulé "Les Nouvelles de Pétersbourg". 
Serge Poncelet a adapté "Le manteau" pour le théâtre. Sur la scène du Théâtre de l’Opprimé, il joue et donne vie à Akaki Akakiévitch Bachmatchkine, personnage central de la pièce, employé modeste et exemplaire est-il dit, mais c’est à voir…

Petit fonctionnaire et gardien de la mémoire

Toujours à la même place, à la même fonction de gratte-papier, dans un uniforme défraîchi et usé de part en part, Akaki Akakiévitch Bachmatchkine est un employé modeste mais exemplaire. Son unique joie : recopier des documents du matin au soir. Une tâche qu’il accomplit avec zèle au milieu des moqueries et des vexations de ses collègues. Sans ambition, sans le moindre besoin, sa vie est réglée comme du papier à musique…Mais voilà, son manteau est si usé qu’on voit à travers le tissu. Akaki Akakiévitch est obligé d’aller voir le tailleur Pétrovich et d’économiser kopeck après kopeck pour en acheter un autre… L’achat du vêtement vire à l’obsession. Le jour où il endosse son nouveau manteau pour la première fois, l’acquisition lui vaut presque la reconnaissance de ses collègues qui l’invitent, à une fête qu’ils organisent, pour célébrer l’évènement. En rentrant chez lui, Akaki est agressé et son manteau volé…Pour la première fois de sa vie, il entame des démarches pour récupérer son cher manteau. Malheureusement, un “personnage considérable et important” auquel il demande secours s’en prend violemment à lui. Akaki ne s’en remet pas, il se laisse aller et meurt de froid quelques jours plus tard… Des événements inexplicables se produisent alors : un spectre apparaît dans différents quartiers de Pétersbourg, effrayant les passants et leur dérobant leurs manteaux. Le personnage important qui a offensé Akaki ? Rassurez-vous, il ne sera pas oublié …

L’univers burlesque et onirique de Gogol

Comment faire vivre sur le plateau de théâtre l’univers de Gogol qui entremêle le burlesque et le social, le tragique au grotesque pour nous emporter au final vers le fantastique et l’onirique ? Sur un plateau nu, dominé par une toile peinte, comme éclairée de l’intérieur, représentant Saint Petersbourg, le seul décor est représenté par un bureau d’écolier minuscule, quelques accessoires de cuisine et une plume d’oie pour écrire. On passe ainsi de la maison au bureau d’Akaki, les deux univers entre lesquels il se déplace. Le travail d’une lumière précise et parfois pleine de mystère, va souligner les états émotionnels des personnages et les déplacements de l’action.
Seul sur le plateau, Serge Poncelet – acteur et co-metteur en scène de la pièce – incarne tous les personnages qui traversent la vie d’Akaki. Spécialiste du jeu masqué balinais, de la commedia dell’arte, du clown et du jeu burlesque, Serge Poncelet déploie une narration à plusieurs visages. Dans un jeu corporel,, jouant sur la puissance des variations de la voix et des postures physiques, en une fraction de seconde, chaque personnage naît, assumé par une technique de jeu particulière qui lui donne sa personnalité.
“L’équipe artistique [ s’est nourrie de] Chaplin, Keaton, Murnau, des avant-gardes russes du début du XXe siècle dont Meyerhold, de l’expressionnisme allemand, du travail théâtral de Tadeusz Kantor, entre autres” rappelle Guy Segalen, l’autre metteur en scène de la pièce. Akaki, dans sa démarche raide de pingouin nous fait penser à Charlot alors que le tailleur Pétrovich ou ses collègues semblent tout droit sortis de la commedia dell’arte ou du jeu masqué asiatique. Dans une fluidité total du jeu, de la narration et des déplacements, apparaissent univers et personnages. Du marionnettiste à un meneur de jeu, du clown inquiétant à un personnage naïf et touchant, les personnages arrivent et disparaissent parfois dans la seconde. Passant du réalisme du récit, à l’inquiétude de la situation, jusqu’au fantastique de la fin, la pièce se déroule dans une atmosphère magique de créativité ininterrompue.

Théâtre / Le manteau, d’après une nouvelle de Gogol
© Guy Segalen

Saint Petersbourg, au centre

Cependant, cette nouvelle de Gogol n’aurait pas le même impact et le même mystère sans le cadre de la ville de Saint Petersbourg. La ville est au centre d’un système bureaucratique qui écrase par sa hiérarchie les esprits qui ne s’y conforment pas. Akaki est le symbole même de la soumission au système. Il s’accepte sans honte et sans fierté dans sa condition. En achetant un manteau neuf, il quitte une existence frugale, mais heureuse selon son idéal. Cette acquisition, en lui donnant un semblant de puissance et de reconnaissance, va l’aspirer vers une forme de socialisation qui, au final, l’anéantira car il n’en maîtrise aucune règle. La ville est aussi un cadre social où s’entremêlent le tragique et le burlesque, l’universel et l’intemporel pour atteindre au final le fantastique. Akaki qui a fait la courte expérience d’une sociabilité qui, supposait-il, l’intégrerait parmi les autres et le rendrait heureux, finit par se rendre compte de sa “nudité sociale” et du dépouillement dans lequel il se trouve. Son manteau volé, il est nu et aucune porte ne s’ouvre plus. Respirant mal et découvrant le froid, il va finir par en mourir.
Il redevient le pingouin au corps rigide, mais démuni de la liberté des mouvements certes réduits, qui autrefois, le portaient librement. Dans une fin somptueuse de conte fantastique – inspirée peut-être par certaines fins des spectacles d’ Ariane Mnouchkine avec laquelle Serge Poncelet a travaillé pendant plus de dix ans – Akaki disparaît, devenant l’ombre errante d’un Saint Petersbourg transformé en lieu de nuit onirique.
Ce n’est pas le portrait d’un homme que dessine Gogol, conclut Guy Segalen, mais celui d’un monde dans lequel certains hommes ne peuvent pas vivre. Il ne dit même pas que c’est une honte. Il rit de ceux qui peuvent y vivre”.

Une poésie totale, une mise en scène magnifique et un acteur hors du commun…”Le manteau”, un spectacle à ne pas manquer !…

Le manteau

de Nicolas Gogol

Adaptation : Serge Poncelet

Traduction : Éric Prigent


Mise en scène : Serge Poncelet et Guy Segalen


  • Scénographie : Serge Poncelet et Guy Segalen
  • Peinture toile : Anne-Marie Petit
  • Costumes : Barbara Gassier
  • Accessoires : Guy Segal
  • Création et régie lumière : François Martineau
  • Régie son :Kevin Martin
  • Effets sonores : Ulrich Mathon

Interprétation : Serge Poncelet

Durée : 1 h 15

Représentations : Du mercredi 7 au dimanche 18 décembre 2022
Mercredis-Jeudis-Vendredis-Samedis à 20h30 / Dimanches à 17h

Théâtre de l’Opprimé – 78-80 Rue du Charolais 75012 – Paris

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