Théâtre - Le Dragon de : Evgueni Schwartz

Le Dragon
Texte : Evgueni Schwartz

Texte Français : Benno Besson

Mise en scène : Thomas Jolly

Un chat qui parle, un tapis volant, un preux chevalier tout droit sorti de la Table Ronde et un dragon qui sème la terreur dans tout le pays…Cela ressemble à un conte et… c’est un conte…Mais quand on remarque que la pièce écrite dans les années 40 a été interdite lorsqu’elle fut représentée en 1944 sous la dictature d’un certain Staline…Une autre porte s’ouvre…”Le Dragon”, une pièce de l’auteur et journaliste russe Evgueni Schwartz dans une mise en scène flamboyante du français Thomas Jolly… 
Théâtre - Le Dragon de : Evgueni Schwartz
Photos © Nicolas Joubard

Le livre de la Montagne Noire

Dans la salle plongée dans le noir, une voix raconte : le monde entier, les astres et les rivières, témoins de ce que font les humains…le livre de la Montagne Noire qui s’écrit…Mais à qui s’adresse le livre ?
Une voix…Celle d’un chat qui parle – surprenant, comme le lapin d’Alice, dans ses propos et dans ses actes. Il annonce qu’un grand malheur est en passe d’arriver puisque Elsa, la fille de Charlemagne est promise comme épouse au Dragon a trois têtes. Celui-ci est un despote redoutable qui règne depuis 400 ans, et personne n’a osé l’affronter… Avoir le Dragon chez soi et lui donner des richesses sont les seules façons d’être protégé…C’est ce que font les autorités locales, complices et serviles,, en lui offrant du bétail et une vierge chaque année. Lancelot, un chevalier, à l’allure pauvre et d’une grande bravoure, vient d’arriver et va peut-être écrire l’histoire d’une autre façon…Défier le Dragon et libérer la ville de son oppression par abnégation et par amour pour la belle Elsa est sa proposition…Mais cette histoire est une invention qui n’a aucune réalité car, en fait dans la ville, personne ne veut se séparer du Dragon et encore moins Heinrich et son père, bourgmestre de la ville. Celui-ci a toutes les raisons de protéger le Dragon pour continuer à s’enrichir. Conseillée par Heinrich, Elsa doit tuer Lancelot sur ordre du Dragon et ainsi sauver la ville et être épargnée en épousant celui-ci…Mais Lancelot n’a pas encore dit son dernier mot…

Théâtre - Le Dragon de : Evgueni Schwartz
Photos © Nicolas Joubard

Maintenir le monstre au pouvoir

C’est en écrivant des contes pour enfants, rappelle Thomas Jolly, que Evgueni Schwartz a commencé sa carrière d’écrivain. Pourtant, c’est en détournant ce genre en direction des adultes qu’il s’imposera comme homme de théâtre inscrivant le conte vers des contenus plus politiques. Nous sommes dans les années 40 et Staline est au pouvoir en Russie. “Si “Le Dragon”, écrit en 1943, dénonce le national-socialisme allemand d’Hitler ainsi que la dictature stalinienne, précise le metteur en scène, c’est une pièce qui met en scène les mécanismes et les répercussions d’un régime autoritaire dans toutes les couches de la société”.
Développant une galerie impressionnante de personnages,- pour le plus grand bonheur de la vingtaine de comédiens sur la scène – le théâtre d’ Evgueni Schwartz s’envole dans toutes les directions y compris les plus folles.
Les personnages, en apparence soumis au départ, se trouvent alors guidés vers des comportements héroïques ou monstrueux. La mise en scène de Thomas Jolly joue, certes, sur les côtés féériques de l’intrigue, mais derrière les rugissements du dragon et les fééries du spectacle sont dénoncés l’autoritarisme et la dictature des pouvoirs et particulièrement ici du pouvoir hitlérien et stalinien. Au-delà de cette démarche propre à la date de parution de la pièce, sont dénoncées aussi, de façon plus large, les blessures faites à l’âme tailladée des exploités qui deviennent dociles en se laissant corrompre, finissant par se plier à l’autoritarisme et par accepter la servitude pour pouvoir survivre. “Des âmes trouées, des âmes vendues, châtrées et surtout corruptibles, toutes ! Des âmes mortes” , souffle lui-même le dragon à l’homme corrompu qu’il a installé aux commandes de sa ville.

Une mise en scène de souffle et de feu

Un monde gothique, une grotte dont l’entrée a la forme d’un oeil. Dans ce décor grondent des tonnerres trépidants, surgissent des éclairs de feu, s’enroulent des souffles hurlants et pénétrants. Tout sur le plateau évoque la puissance du dragon. La scénographie impose un décor immense et écrasant pour les humains. Un décor qui semble suspendu sur la scène par les lumières. Sous formes de zébrures ou de traits lumineux qui cernent l’espace central, la couleur dominante, sur le plateau ou les costumes, est le noir ou le gris. Maquillés de façon outrancière, les visages se découpent blafards, surgissent dans les faisceaux des lasers lumineux ou se cachent dans l’ombre. La mise en scène de Thomas Jolly joue sur cette subtilité de la scénographie dont les décors géométriques rappellent certains décors des films d’épouvante en noir et blanc des années 30, mais évoquent aussi l’imaginaire de la Famille Adams. Au-delà de cette scénographie basée sur des décors immenses et dont les limites se perdent dans les cintres, la mise en scène s’appuie essentiellement sur la fougue d’un jeu délirant proposé par une vingtaine de comédiens ultra-doués qui passent d’un personnage à l’autre, caracolent d’une action à une autre avec une fougue et une drôlerie décapante qui ne se démentent pas du début à la fin du spectacle.
La mise en scène du combat entre le Dragon et Lancelot est une trouvaille poétique qui respecte en même temps le côté titanesque de l’affrontement. Tout passe par un imaginaire réglé par la lumière stromboscopique et le mouvement choral des comédiens sur le plateau. Lancelot gagne et les trois têtes du Dragon tombant des cintres semblent mettre fin à la tyrannie. Une fin heureuse ? Voire… La scénographie transforme le palais en un décor plus moderne, le peuple paraît découvrir la démocratie, mais très vite se profile déjà une démocratie de pacotille. En dépit de la dernière partie de la pièce qui traîne un peu en longueur, la noirceur du conte est bien là et nous invite à nous interroger sur notre part de responsabilité dans le pouvoir des tyrans. Sous le couvert de soi-disant transformations, la tyrannie résiste à travers chacun d’entre nous. Prêt à ressurgir le Dragon sommeille encore …



Le Dragon

Texte : Evgueni Schwartz

Texte Français et collaboration artistique : Benno Besson / Éditions Lansman

Mise en scène : Thomas Jollyc

Avec : Damien Avice, Bruno Bayeux, Moustafa Benaibout, Clémence Boissé, Gilles Chabrier, Pierre Delmotte,Hiba El Aflahi, Damien Gabriac, Pier Lamandé, Damien Marquet,
Théo Salemkour, Clémence Solignac, Ophélie Trichard

  • Collaboration artistique : Katja Krüger
  • Consultante langue russe: Anna Ivantchik
  • Scénographie & Lumière : Antoine Travert
  • Musique originale et création son :Clément Mirguet
  • Accessoires : Marc Barotte /Marion Pellarini
  • Maquillage : Catherine Nicolas avec la collaboration d’Élodie Mansuy
  • Costumes : Sylvette Dequest

Durée estimée : 2h 30


Du 15 au 25 Mars 2023
Mardi, Mercredi : 19 h30 – Jeudi, Vendredi : 20 h30 – Samedi : 18 h

Théâtre Les Amandiers – 92 000 Nanterre


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