Théâtre - "Le chant du père" : texte et mise en scène: Hatice Özer

Le chant du père
Texte et Mise en scène : Hatice Özer

Lui est musicien et ferronnier. Dans la communauté turque c’est un ashik, un artiste populaire, à la fois poète, chanteur, compositeur et joueur de saz, un luth à manche long à la sonorité douce, que l’on trouve aussi en Iran, en Grèce et jusque dans les Balkans. Son nom : Yavuz Özer et dans le Périgord, on peut l’entendre chanter dans les cafés et les foyers de la communauté turque. Elle, c’est sa fille, Hatice Özer, comédienne pétillante, qui, entre musique et poèmes, dans un récit plein d’humour et de tendresse filiale, nous invite à écouter leur dialogue… 

“Boire le pays ou pleurer l’enfance”…

Intérieur simple de maison. Une table, deux chaises, un coffre immense en osier et trônant suspendu dans un coin, un saz qui attend le musicien qui fera vibrer ses cordes. Par respect pour l’instrument de musique, il ne faut pas le poser par terre. Sur la scène, comme en attente, une jeune fille, dans une concentration extrême, allume une bougie qu’elle place au milieu de la scène, installe un plateau, des verres, y verse du thé et fait tinter la cuillère. C’est la nuit et elle attend le père. Ce rituel précis est destiné à l’accueillir avec sa musique, ses chants et ses histoires issus de la terre natale.
Saupoudrer sur la scène du sable rouge, boire une tasse de thé pleine a ras bord est une façon de revenir et de “boire le pays”. Écouter les chansons du père, c’est aussi “pleurer l’enfance et se sentir heureux d’être triste” . Car nous dit la fille, le père connaît le secret pour bien raconter les histoires : “ mélanger 60 % de vérité, 30 % de mensonge et 10 % de pur mystère…” .
Discrètement, il arrive par le fond de la scène, décroche son instrument de musique et s’installe sur une chaise. Sa voix s’élève et portée par une langue harmonieuse, la musique et les poèmes de Yavuz Özer sont là pour attraper les âmes.

Théâtre - "Le chant du père" : texte et mise en scène: Hatice Özer
Photos ©Arnaud Bertereau

Entre l’Anatolie et le Périgord

Hatice Özer est une comédienne jeune mais expérimentée qui a travaillé notamment avec Wajdi Mouawad ou Hubert Colas, “Le chant du père” est sa première création. En invitant son père sur scène, elle rend hommage à cet homme discret et talentueux et met l’accent sur “l’étrangeté” de sa position de fille qui a grandi en France. Entre traits d’humour et situations parfois cocasses naît entre le père et la fille un lien de transmission et d’échange qui évoque à la fois l’harmonie, l’évocation du pays d’origine et les contradictions voire les frictions entre les cultures. Passant de la langue turque au français, se racontent les transformations des mentalités, la perte des traditions, les apports de la culture du pays natal et du pays d’accueil qui s’imprègnent d’une génération à l’autre, parfois dans la tristesse mais aussi dans le rire.
Pourtant, au-delà de ces hiatus, de ces incompréhensions parfois, de ces aliénations, peut-être, entre la fille et le père, se joue quelque chose de plus grand. Père silencieux, souriant, Yavuz Özer raconte en turc les histoires drôles de Nassretin, équivalent oriental de notre Marius marseillais et que traduit sa fille. Le père en chantant l’exil, le mal du pays, le déracinement transmet une culture qui répond aux interrogations de sa fille qui grandit en France et a peur d’oublier. Que restera-t-il de ce père qui s’est exilé pour offrir un avenir meilleur à ses enfants et qui parle mal le français ? Comment conserver l’héritage oral des traditions anatoliennes ? Comment préserver les rituels conviviaux qui, dans la tradition turque, créent les relations ?

Théâtre - "Le chant du père" : texte et mise en scène: Hatice Özer
Photos ©Arnaud Bertereau

“Je garde les chants à partager avec toi”

En transformant la scène de théâtre en une sorte de cabaret intime, Hatice Özer nous rappelle que le mot cabaret vient de l’arabe khâmmarât qui désigne le “lieu où l’on boit et chante”. À la fin du spectacle, le thé est de plus en plus infusé, le contact avec le public est de plus en plus étroit. Pareils aux chanteurs ambulants d’Anatolie, accompagné de son luth, le père en racontant les déracinements l’exil et les injustices, les amours et les morts, recrée avec sa musique une terre natale intérieure et toujours vivante dans le coeur. En reconstituant et en partageant sur la scène les rituels appris dans sa famille depuis l’enfance, en riant d’elle-même, de ses incompréhensions et de ses peurs, Hatice Özer ouvre et voire réinvente certaines formes du théâtre.
“Longtemps, j’ai pensé, dit la jeune auteure et metteure en scène, qu’il n’y avait pas de théâtre dans ma culture, ma famille et mon milieu social, mais je réalise aujourd’hui que tout y est théâtral. La manière de pleurer ses morts, de se transmettre oralement les histoires, tout devient conte sans qu’on puisse distinguer le vrai du faux”.
“ Je ne peux pas te rendre ton départ, mais je garde tous les chants à partager avec toi” dit la fille au père, reconnaissant et acceptant ainsi la transmission de la terre d’origine. Partagés avec un public ému et chaleureux, on a commencé par la mélancolie des départs, on est passé par la tristesse des deuils et les souvenirs du pays lointain qui s’effacent et enfin par la joie et les rires qui finissent toujours par arriver. Au-delà du théâtre et des mots, “Le chant du père” révèle aussi sans ostentation et avec une discrétion toute orientale, la complicité, l’amour et la tendresse entre un père et sa fille.



Le chant du père

Texte et mise en scène : Hatice Özer


Avec : Hatice Özer et Yavuz Özer

  • Collaboration artistique : Lucie Digout
  • Scénographie: Aliénor Durand, Hatice Özer
  • Régie générale, Régie lumière : Jérôme Hardouin
  • Régie son : Matthieu Leclere
  • Regard extérieur: Anis Mustapha, Antonin Tri Hoang

Durée estimée : 1 h 05


Vu le 19 Février 2023

Théâtre de la Tempête– Salle Copi – Cartoucherie-75 012 Paris


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