Théâtre - "La terre entre les mondes" - Texte: Metie Navajo -Mise en scène : Nicolas Boillot

La terre entre les mondes

Texte : Métie Navajo

Mise en scène : Jean Boillot

“Il y a des régions tranquilles au Mexique, les plus éloignées des Etats-Unis et les plus proches de Dieu, c’est ce qu’on dit”. C’est sans doute dans ce genre de région que se situe la terre entre les mondes nous laisse entendre Métie Navajo, et c’est le titre de sa pièce…La terre entre les mondes… Une terre lointaine qui se situe au sein de la forêt amazonienne…

Le monde magique des croyances

Elle semble glisser sur la scène et se plante face à nous. Elle nous confie qu’elle appartient à cette terre des Mayas, porteuse de tous les chants et de tous les mythes de la forêt amazonienne. Elle, c’est Abuela, la grand mère de Cecilia. Elle vit depuis toujours avec son fils et sa petite fille dans un village maya. Elle sait qu’elle va bientôt mourir et son souhait le plus profond est d’être enterrée au pied du ceiba, l’arbre magique de la forêt qui protège la maison. Leurs ancêtres vivaient en communion avec la forêt et cultivaient le maïs, mais tout a été bouleversé. Aujourd’hui, sur une parcelle minuscule, le père et sa fille vivent chichement du maïs, toujours cultivé de façon traditionnelle. Cecilia a été envoyée à l’école mexicaine, mais son seul travail consiste à faire la lessive pour des gens de la communauté mennonite installée à côté de leur village. Ils ont abattu les arbres géants de la forêt sacrée des Mayas et y ont planté des champs immenses de soja et de sorgho. Amalia, une jeune mennonite, intriguée par la personnalité de la jeune maya entre en contact avec elle. Les deux jeunes filles deviennent amies. Amalia s’oppose à sa soeur jalouse, dans le souvenir de sa mère morte et vit avec sa famille retranchée du monde. Elle rêve d’océans sur lesquels naviguer et de forêts aux arbres gigantesques dans lesquelles elle pourrait se perdre… Cecilia est hantée par Abuela qui, enterrée dans un cercueil et portée au cimetière du village, dans une cérémonie bâclée, est devenue un fantôme errant. Les univers des deux jeunes filles qui s’apprivoisent et se racontent, se trouvent confrontés à l’intrusion du monde technologique dont le projet est d’abattre, encore plus, les arbres la forêt pour y ouvrir une ligne de chemin de fer…

Au-delà du plateau de théâtre, la forêt, la parole…

Théâtre - "La terre entre les mondes" - Texte: Metie Navajo -Mise en scène : Nicolas Boillot
Photo Sylvain Martin

Ce qui construit la fable de la pièce prend deux directions : l’organisation de la parole et celle de la scénographie . Sur un plateau vide d’objets et de décor, s’organisent des paroles  qui assument le conflit des langues et confortent la mise en scène de Jean Boillot . Le français parlé avec ou sans accent, le plattedeuch (un bas allemand parlé par la communauté mennonite) , le maya et l’espagnol vont jouer le rôle d’union parmi les peuples colonisés dans le pays et les colonisateurs qui s’y sont installés. Le maya parlé par Cecilia, son père et sa grand-mère ouvre l’espace vers le monde invisible des morts et des dieux. Partageant la scène en deux espaces: au premier plan très éclairé, celui des humains et au fond de la scène, l’espace brumeux et mystérieux de la forêt, dans un cadre épuré et précis, la scénographie nous donne accès à la coexistence entre les animaux, les humains et l’invisibilité des mondes secrets et mystérieux de la forêt amazonienne. 

À partir de cette relation première avec la nature, celle qui naît entre les jeunes filles les rattache à l’esprit de l’enfance alors qu’elles et leur famille sont menacées par les expropriations. Pour les indigènes, la perte de leurs terres ancestrales, l’assèchement, la déforestation et l’épuisement des sols. Pour la communauté mennonite, l’obligation de s’expatrier vers d’autres terres à conquérir. Si pour Cecilia, la perte de l’univers de l’enfance est irrémédiable et castratrice, pour Amalia, c’est une des possibilités irrémédiables, liée au choix de ceux qui ont choisi le départ de la terre de naissance. Pour les deux jeunes filles, se parler en secret, fait de la scène un espace de protection et de liberté. Défendant leurs histoires et leurs croyances, elles construisent un monde qui se conjugue au féminin et oeuvre pour la défense et la transmission des pratiques ancestrales . Pour Amalia, aider Cecilia à ouvrir le cercueil de Abuela et l’enterrer entre les racines du ceiba l’ancre définitivement dans la terre de son amie maya. 

Théâtre - "La terre entre les mondes" - Texte: Metie Navajo -Mise en scène : Nicolas Boillot
Photo Sylvain Martin

Une scénographie qui fissure le temps et l’espace

Cette pièce complexe, difficile quelquefois à suivre, le jeu parfois fermé des actrices, garde sa poésie grâce à une scénographie (Laurence Villerot) et un travail des lumières (Ivan Mathis) qui s’attachent et soulignent le moindre détail. Chaque action s’inscrit dans un espace précis : des lumières directes pour l’espace des humains, un arrière-plan plus sombre, où flottent des brumes, pour la forêt amazonienne avec ses mystères, ses bruits étranges, ses animaux présents et silencieux. La silhouette d’un ceiba, un arbre immense et “vivant” abrite les morts et les dieux, les esprits de la nature et les rêves des vivants. Les lumières dissimulent et sculptent tout à la fois les personnages dans leurs actions et les ombres fantomatiques qui habitent la forêt. Des bruits discrets renforcent le réalisme et soulignent l’onirisme qui constituent un des enjeux de la pièce.   

Émergeant du déluge, à la fin du spectacle, exaucée dans ses désirs Abuela a enfin rejoint les dieux de sa forêt. La rencontre finale entre Cécilia et La Femme de Plusieurs Vies, est le prélude à un autre monde possible qui se déclinerait au féminin. Ce sont, nous dit l’auteure Métie Navajo, les croyances mêlées des personnages de la fiction qui, se rencontrant, ont créé un univers proche du conte, avec sa violence et sa tendresse, un entre-monde dont la réalité a quelque chose de magique, où la magie a quelque chose de très réel”. Pour nous aussi spectateurs, la terre entre les mondes a fini par nous ouvrir à d’autres possibles qui contiennent aussi d’autres rêves.



La terre entre les mondes 

Texte Lauréat Artcena 2021- (Ed. Espace 34)

Texte : Métie Navajo 

Mise en scène : Jean Boillot

Avec : Lya Bonilla, Sophia Fabian, Christine Muller, Giovanni Ortega, Cyrielle Rayet, Stéphanie Schwartzbrod 

  • Assistant à mise en scène:  Philippe Lardaud
  • Conseil dramaturgie:  David Duran Camacho 
  • Scénographie: Laurence Villerot
  • Création lumière:  Ivan Mathis 
  • Création costume: Virginie Breguer
  • Création sonore: Christophe Hauser

Durée estimée : 1 h 50 – Spectacle tout public à partir de 13 ans


Vu en octobre au Théâtre de l’Echangeur –  93 170 Bagnolet

Tournée 2023/2024

  • Du 18 au 21/10/23 : Théâtre Joliette, Marseille
  • 04/05/24 : Théâtre Jean François Voguet, Fontenay-sous-Bois 
  • 14/05/24 : L’Onde, Vélizy Villacoublay 
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