Théâtre - "La tempête"- Adaptation et Mise en scène: Emmanuel Besnault

La Tempête

Texte : William Shakespeare
Adaptation & Mise en scène : Emmanuel Besnault

C’est simple. Le projet était impossible : adapter une oeuvre de Shakespeare pour en donner un spectacle musical (de bonne qualité bien sûr !) sur l’une des plus petites scènes de Paris. Mais Emmanuel Besnault a l’habitude de relever les défis et lorsque le directeur du théâtre de La Huchette, Frank Desmedt, lui propose de créer le projet, il accepte. Il choisit de mettre en scène “La tempête”…  Voilà qui est fait !… Et ça  décoiffe!…
Théâtre - "La tempête"- Adaptation et Mise en scène: Emmanuel Besnault
Photos © Fabienne Rappeneau

Avis de tempête !…

Prospero, ancien duc de Milan trahi par son frère, est exilé avec sa fille Miranda sur une île déserte où vivent avec lui, Ariel, esprit du vent, et Caliban, un monstre réduit en esclavage. Tous deux sont aux ordres de Prospero qui tire de ses livres un pouvoir magique. Douze ans plus tard, alors que le navire de son frère passe à proximité, Prospero provoque une tempête pour le faire échouer sur l’île…
Se confronter à “La tempête” est toujours un travail impressionnant pour les metteurs en scène et les scénographes. Le nombre de personnages, l’univers de l’ île de Prospero, mais aussi la multiplicité des situations…Dans cette version musicale, destinée à être donnée sur le plus petit plateau d’un théâtre parisien et interprétée par trois comédiens, le défi à relever semblait impossible à tenir ! Mais, la première constatation ici est de constater que le talent ne manque jamais d’imagination !
S’appuyant sur une traduction inédite d’Éric Sarner – qu’il qualifie “de grand poète français aux mille vies” – Emmanuel Besnault adapte le texte de Shakespeare en resserrant les situations et les actions autour de l’île. Il fait de Prospero, le personnage central autour duquel tournent toutes toutes les actions. Venant rythmer chaque action de façon naturelle, la musique, les chants et l’univers sonore créés par Jean Galmiche s’insèrent librement et harmonieusement dans un texte d’une très grande clarté. La langue chantée nous renvoie à la magie de l’île enchantée pleine de rumeurs mélodieuses “qui charment sans nuire” .

Théâtre - "La tempête"- Adaptation et Mise en scène: Emmanuel Besnault
Photos © Fabienne Rappeneau

Un jeu d’acteurs à la précision diabolique

La pièce de Shakespeare compte une dizaine de rôles principaux et souligne une présence de la cour du Roi d’Espagne en déplacement. Le parti pris d’Emmanuel Besnault, dans son adaptation, a consisté à limiter le nombre de personnages. Dominateur et organisateur de chaque action magique ou non, Prospéro initie toutes les actions. Son interlocutrice principale est sa fille Miranda qui a grandi dans l’exil puis Ferdinand, le jeune prince de Naples naufragé. Les autres habitants de l’ île sont des serviteurs qu’il domine : Ariel, l’esprit de lumière qu’il a emprisonné et Caliban, l’indigène autochtone qu’il a tenté d’éduquer avant d’y renoncer lorsque celui-ci a tenté de violer sa fille.
Jérôme Pradon, au jeu subtil et très fin, donne au personnage de Prospéro une humanité et une tendresse qui apparaissent dès le début de la pièce. Plein de colère et de rancune à l’égard du roi de Naples, souvent dur et violent avec Caliban, mais maître du langage, il commande à la nature. Il possède une certaine lucidité sur lui-même, pour son goût du pouvoir et son sens de la manipulation. Son sens de l’humour qui se traduit par une certaine complicité avec le public, laisse entrevoir cependant humanité. L’amour et la protection de Miranda sont les seules excuses à ses actions, parfois contestables ou violentes. Élevée à l’écart du monde, il se doit de la conduire à l’autonomie, de lui transmettre des valeurs solides d’éducation qui lui permettront d’échapper à la soumission d’un futur mari.
Faisant preuve d’une grande liberté dans le jeu, Marion Préïté et Ethan Oliel interprètent les rôles de Miranda et Ferdinand et les serviteurs de Prospéro avec une inventivité sans cesse renouvelée. Marion Préïté oscille entre la naïveté de Miranda et la transparence magique et élevée de l’esprit d’Ariel, symbole de la lumière qui réside à l’ intérieur de chacun. Ethan Oliel passe de l’amour éperdu de Ferdinand pour Miranda à l’esprit borné de Caliban, dans sa grossièreté. Sa découverte de l’alcool qu’il partage avec Stéfano, le marin naufragé et manipulateur, également interprété par Marion Préïté, est l’occasion d’un magnifique travail en duo autour du masque et de la comedia dell’arte. Comme dans “Fantasio”, la pièce de Musset mise en scène précédemment dans un esprit rock, s’appuyant ici sur la musique de Jean Galmiche, Emmanuel Besnault conduit les acteurs dans un jeu d’une précision étonnante et dans des directions inédites. Ses choix créent une unité des personnages qui fait écho à l’unité du lieu, des actions et du temps.

Théâtre - "La tempête"- Adaptation et Mise en scène: Emmanuel Besnault
Photos © Fabienne Rappeneau

Le théâtre : un lieu de tous les possibles

“La tempête” est une pièce qui travaille sur des rapports précis souligne Emmanuel Besnault : ceux entre père et fille, la rivalité entre frères, le rapport dominant/dominé. Elle souligne aussi une réflexion autour de la vie et de la mort, de la vengeance et du pardon.
“Le chant, ajoute-t-il, [est utilisé ici] comme déploiement lyrique du sentiment lorsque le prosaïque ne suffit plus, une dilatation du temps pour parler au coeur plus qu’à la raison”.
Assurant aussi la scénographie, le metteur en scène se sert du théâtre comme le lieu de tous les possibles. La scène de la tempête qui ouvre le spectacle met en place la folie de la nature comme une ouverture à la folie des humains. La salle où se tient le public devient l’espace, l’océan, l’horizon lointain. La scène de théâtre représente la terre ferme de l’île et la caverne où règne Prospéro. Lieu à la fois intime, protecteur et ouvert vers les mondes occultes et manipulés par le magicien capable de créer des machines à rêver. Ces rêves qui représentent l’étoffe dont sont faits les humains.
À partir de ces choix dramaturgiques et scénographiques, Prospéro apparaît, à la fin de la pièce, comme apaisé des tumultes intérieurs qui ont nourri sa rancoeur, née de la trahison de son frère. Il annonce sa propre fin et renforce ainsi la projection de la présence de l’auteur communément admise dans cette oeuvre dernière. Admettre sa fin inéluctable c’est aussi accepter de se laisser toucher par le désespoir de chaque humain et se pardonner enfin “pour aboutir, inévitablement, au lever d’un soleil qui éclaire et réchauffe”. Une magnifique interprétation d’une tempête qui gronde et à découvrir au Théâtre de la Huchette – (où se jouent encore et toujours, depuis les années 50, les oeuvres de Ionesco ! ) – , une adaptation d’équilibriste de la dernière pièce écrite, en 1611, par le grand William, 5 ans avant sa mort.



La Tempête

Texte : William Shakespeare

Nouvelle traduction : Eric Sarner

Adaptation & Mise en scène : Emmanuel Besnault

Assistante mise en scène: Cindy Briand

Avec : Jérôme Pradon, Marion Préïté, Ethan Oliel

  • Scénographie : Emmanuel Besnault
  • Composition et création sonore: Jean Galmiche
  • Lumières : Cyril ManettaCostumes : Magdaléna Calloc’h
  • Maquillages : Valentin Perrin
  • Accessoires: Juliette Paul
  • Régie : Yves Thuillier

Durée estimée : Environ 1 h 15


À partir du 6 Février 2023 – Du mardi au Samedi : 21 h

Théâtre de La Huchette – 75 005 Paris

Retour en haut
Tweetez
Partagez