Théâtre / Pièce de Philippe Minyana d'après "Les Métamorphoses d'Ovide

La Petite dans la forêt profonde

Texte : Philippe Minyana

Mise en scène : Alexandre Horréard

Dans la mythologie grecque, Procné et Philiomèle sont évoquées dans “Les Métamorphoses” d’Ovide. Elles étaient soeurs et furent transformées l’ une en rossignol et l’autre en hirondelle pour échapper à la vindicte de Térée, le mari de Procné qui avait violé la jeune Philomèle…Le poète du sensible qu’est Philippe Minyana s’est inspiré du mythe en écrivant “La Petite dans la forêt profonde”. Une pièce interprétée par deux comédiennes, Clémence Josseau et Louise Ferry, dans un jeu sensible et plein de tendresse qui charrie en même temps l’émotion et la douleur terrible de l’innocence détruite.

Aller là où il y a des papillons…

Sur le plateau vide, une table de mixage, des amplis pour diffuser le son, une chaise en bordure de scène…La lumière qui baisse… Bruitages de papiers, souffles, bouteilles en plastique que l’on frotte près d’un micro…L’une des deux comédiennes est l’auteur de ces bruitages créés et enregistrés en direct, puis qui seront diffusés, alors que l’autre commence à raconter l’histoire de la Petite et du Jeune Roi marié avec la soeur de La Petite.…Les deux soeurs ne se sont pas vues depuis longtemps et le Jeune Roi conduit la Petite vers sa soeur aînée.
Dans la forêt profonde, le Jeune Roi devient fou de la beauté de La Petite…Celle-ci est pourtant à peine âgée de douze ans. Cependant, loin d’être dupe, elle se défend en faisant remarquer au Jeune Roi qu’il n’a pas le droit de tenir ces discours puisqu’il est le mari de sa soeur et que dans cette situation, “il n’a plus l’air d’un roi, mais d’un chien”. Un ton faussement innocent qui dit avec clarté que La Petite connaît les intentions du Jeune Roi…Mais le drame arrive, le Jeune Roi entraîne La Petite et la viole. La Petite le défie. Le Jeune Roi lui coupe la langue pour l’empêcher de parler…Pourtant, mise à l’écart, La Petite finit par retrouver son aînée. Les deux soeurs vont se venger ensemble du Jeune Roi en lui servant un repas constitué par le corps de son fils qu’elles ont tué. “La reine dit :On n’imagine pas ce que c’est que de tuer son enfant mais je vais dire les faits et on comprendra qu’il n’y avait pas d’autre solution” .

Théâtre / Pièce de Philippe Minyana d'après "Les Métamorphoses d'Ovide
© Marie Hamel

Le texte de Minayana est construit selon une forme rigoureuse et précise. La mise en scène d’Alexandre Horréard ouvre le formalisme du texte pour créer une relation vers les spectateurs en utilisant la forme du conte. Les deux comédiennes sont les conteuses du récit, mais jouent également tous les personnages qui le traversent. Sous la forme d’un jeu naïf et d’une subtilité fine dans toutes ses nuances, elles investissent la totalité du récit, jouant sur l’intérieur et l’extérieur en prenant en charge à tour de rôle, le texte et la création des bruitages, des chants et de l’univers de sons qui en résultent. Des lumières resserrées et douces accompagnent le récit, laissant les actrices au centre d’un dispositif scénographique où la parole prend toute la place.

L’illusion d’être au monde

L’auteur s’éloignant de la poésie lyrique du texte d’Ovide, donne à son écriture un décalage qui met la fable à distance et en fait ressortir la violence des actes. La mise en scène d’Alexandre Horréard met le texte à hauteur d’humain. Le jeu des actrices joue sur un travail sonore qui rend compte d’un souffle et d’un rythme qui évoquent ceux de la nature. Une fois rediffusés, les bruitages deviennent les sons de la forêt profonde, des bruits sécurisants et que l’on devrait écouter ou inquiétants. Par opposition, le dialogue insistant du Jeune Roi laisse entrevoir la violence sous-jacente qui ne manquera d’arriver. Les bruits de la forêt se transforment alors en des avertissements qui sous-tendent et construisent un récit au double sens. Tout, dans cette mise en scène et cette scénographie, joue sur l’imaginaire qui se construit à travers les sons qui font penser à la voix profonde du vent et peut-être à celle des génies qui peuplent la forêt comme autant de dieux protecteurs qui ne peuvent être entendus.
Collant à la profondeur du texte, la mise en scène en souligne le rythme et le souffle qui exacerbent l’humanité des personnages. La naïveté et la précision du récit raconté par les conteuses soulignent la violence des situations.

Théâtre / Pièce de Philippe Minyana d'après "Les Métamorphoses d'Ovide
© Marie Hamel

Le désarroi et la colère des deux soeurs finissent par abolir l’innocence et l’amour, inscrivant le récit dans une horreur totale. Au crime de viol répond l’horreur de la mort d’un autre innocent, le fils du couple royal. La Reine prête à tous les crimes pour réparer la soeur, retourne là où il y a du sang et des larmes,. Le sang du fils innocent répond au crime du père. Ce crime est le résultat de “ce que les hommes ont bâti pour se donner l’illusion d’être au monde” . Ne pas laisser grandir le fils revient à réparer la soeur mais peut-être aussi à conserver son intégrité à l’enfant, en lui évitant la possibilité de perpétuer en grandissant le même crime que son père. La forêt profonde, habitée d’êtres discrets, a été le témoin secret du crime de toute l’innocence du monde.



La Petite dans la forêt profonde

Texte : Philippe Minyana

Éditions : l’Arche Éditeur

Mise en scène et lumières : Alexandre Horréard


Interprétation : Louise Ferry, Clémence Josseau

Durée estimée : 1 h


Du 27 novembre au 20 décembre 2022
Du dimanche au mardi à 19h

Théâtre les Déchargeurs – 3 rue des Déchargeurs – 75 001- Paris


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