La paix perpétuelle
Texte : Juan Mayorga – Traduction : Yves Lebeau
Mise en Scène : Hervé Petit
Le philosophe du XVIII ème siècle, Emmanuel Kant est l’auteur d’un livre intitulé “La paix perpétuelle”, écrit alors que le monde est en plein bouillonnement de la Révolution Française. Juan Mayorga est philosophe, mais il est aussi un des dramaturges espagnols les plus connus en France. Mis en scène par Jorge Lavelli, adapté au cinéma par François Ozon, ses nombreuses pièces ont été traduites en français par François Lebeau. “La paix perpétuelle” de Juan Mayorga est une oeuvre des plus dérangeantes. Toujours le même objectif concernant cet auteur, montrer ce que nous ne ne voulons pas voir : nous-mêmes.
Un huis-clos animalier ?… Ou trop humain ?…
Menés par un humain, ils arrivent l’un après l’autre. Jetés tous les trois au milieu d’un plateau nu dont on ne peut pas sortir. L’humain pose sur le sol une gamelle d’eau pour chien. Car eux, ce sont les trois chiens finalistes du concours d’intégration à la prestigieuse unité antiterroriste K7. Ils s’appellent Odin, Emmanuel et John-John. Il reste trois épreuves et un seul “collier blanc” qui sera attribué au vainqueur. Selon Odin, les deux perdants seront transformés en saucisses ! Trois chiens, trois personnalités qui nous ressemblent…terriblement ! Cassius, le vieux labrador esquinté, figure héroïque et guerrière de l’anti-terrorisme, dirige le concours et sera chargé de remettre le collier blanc au vainqueur. Des trois chiens lequel a les chances de remporter le combat ? Odin, le Rottweiler rusé, croisé entre le pittbul et le dogue, un chien revenu de tout et rejetant toute morale ? John-John, croisé entre plusieurs races, récemment arrivé et passablement perturbé qui affirme qu’il a toutes les chances de gagner car il sort de la meilleure école de combat et il est fidèle à l’Homme ? Emmanuel, le berger allemand, nommé ainsi par sa jeune maîtresse aveugle qui suivait des cours de philosophie et admirait Kant ?
Les épreuves sont au nombre de quatre : l’une physique, l’autre culturelle – par exemple, définir en 25 mots le concept de terrorisme – et psychotechnique. La dernière épreuve, tenue secrète consiste en un entretien personnel que fait passer Cassius, le chien vétéran. On sait qu’un détenu est dans la pièce voisine : il s’agirait de le faire avouer… Les trois chiens grognent, se défient, se battent dans ce rectangle vide qui semble situé hors du monde. Odin base sa force sur le flair, John-John sur la force brutale. Emmanuel se distingue des deux autres car il doute et questionne le monde. La paix perpétuelle, au centre de la réflexion de Kant et considérée comme le fondement de toute société civile semble bien loin. Qui sont ces trois chiens trop humains ? Des mercenaires ? Des légionnaires de choc ? Des “pauvres dressés” pour être envoyés au feu moyennant finances ? Des chiens… C’est tout!…
L’actualité politique de la pièce
Les personnages évoluent dans une scénographie minimale qui les cloisonne dans un univers fermé et isolé. L’éclairage vient d’en haut mais d’où ? Des caméras de surveillance existent peut-être quelque part … Des musiques marquent le tempo des actions de façon inopinée. Le tout se rattache à une actualité récente qui vient prolonger celle d’hier. Juan Mayorga a écrit sa pièce après les attentats de Madrid en 2004. Ils font écho à ceux du Bataclan à Paris en 2015 et aux récentes guerres en Ukraine ou dans le Moyen-Orient. La pièce s’inscrit dans une actualité politique propre à chaque temps et à chaque espace d’hier à aujourd’hui. La mise en scène d’Hervé Petit met en tension le jeu des acteurs et renforce les tensions du texte. Des sens multiples apparaissent et soulignent la violence et la cruauté de ces chiens “éduqués” par les humains. Le rapport entre le texte et le jeu des acteurs s’inscrit dans une théâtralité immédiate qui, en dépit de l’humour, nous met mal à l’aise. Kant dressait le constat selon lequel “l’état de paix parmi les hommes […] n’est pas un état de nature.” La guerre est greffée à la nature humaine précisait-il et sortir de l’état de guerre reviendrait à réaliser la “paix perpétuelle” soumise à “un droit commun”. La réalité théâtrale nous conduit simplement à la réalité tout court, celle de la violence en action et du questionnement sans fin.
Comme chacun le sait la paix permanente est souvent une illusion et la danse du monde continue avec ou sans nous…La paix perpétuelle ? Elle appartient aux “morts qui ne se battent point, alors que les vivants sont d’une autre humeur” !…
La paix perpétuelle
Texte : Juan Mayorga
Mise en Scène : Hervé Petit
Traduction : Yves Lebeau (Ed. Les Solitaires Intempestifs)
Avec : Nicolas Thinot, Raphaël Mondon, Laurent Bariteau, Ariane Elmerich, Hervé Petit
- Collaboration artistique : Ariane Elmerich
- Scénographie et costumes : Caroline Mexme
- Création sonore : Viviane Redeuilh
Durée estimée : 1 h 25
Théâtre de l’Epée de Bois
Cartoucherie
75012 Paris
Du 19 octobre au 5 novembre 2023 / Du jeudi au samedi à 19h -Samedi et dimanche à 14h30