C’est quoi, la famille et comment inventer la sienne ? À une époque où toutes sortes de familles “nouvelles” apparaissent, que signifie la famille et quelle forme prend-elle ? "La famille s’agrandit" est le titre de cette pièce qu'elles ont écrite et  jouent…Marie Dompnier et Marie Desgranges dans un spectacle plein d’humour, d’à propos et d’imagination se penchent brillamment et de façon originale sur la question …   

Familles …Nouveaux modes d’emploi

L’une s’appelle Josie et l’autre Marie. Elles se téléphonent. La conversation est hachée mais entre deux coupures, elles ont le temps de constater que “la famille est un champ de mine” et “qu’il est nécessaire de mettre un couvercle pour que ça passe” !

Pourtant, l’une comme l’autre sont tentées de satisfaire leur désir de famille. Oui mais que de complications ! Marie est une mère hétérosexuelle qui élève seule les enfants qu’elle a eus de pères différents. Ne pas reproduire avec ses enfants un modèle de famille “toxique” est devenu le problème essentiel de Marie qui a grandi dans un cadre conflictuel et vécu des séparations successives. Vaste programme !
Pour Josie, le processus est différent : elle est mariée avec une femme et souhaite construire une famille homoparentale. Là, le programme est nouveau et se trouve semé de questionnements inédits, de doutes et de rencontres parfois bizarres quand il s’agit de choisir des cellules masculines pour une gestation assistée. Avec la naissance d’enfants, la famille s’agrandit certes, mais ce qui grandit aussi sont des modèles familiaux, inédits et dont il est nécessaire d’étayer la conception.

Des pères en “paillettes” …

Souhaiter créer une famille soulève bien des questions voire des inquiétudes. Marie Dompnier et Marie Desgranges, auteures et interprète de la pièce n’évacuent aucune des difficultés qu’un tel projet suscite. Dans une famille homoparentale, comment présenter à l’enfant un père “représenté” uniquement par les paillettes de sperme anonymes ? Faut-il leur permettre de se rencontrer, comme la loi le prévoit quand l’enfant aura 18 ans s’il en fait la demande ? Comment vivra un garçon sans modèle masculin entre deux mamans ?…
Se basant sur leur propre expérience, les deux autrices soulèvent les doutes, les embuches, les réactions insolites. Certaines réflexions sont teintées d’inquiétude voire d’angoisses, mais chacune est évoquée avec un humour et une tendresse qui ne se démentent pas du début à la fin du spectacle. Le centre de cette réflexion interroge la parentalité et le fait de faire grandir des enfants au sein d’une famille responsable et aimante, capable de s’inventer dans toutes les situations. Les autrices “invitent” même sur la scène l’anthropologue Françoise Héritier dont les écrits ont ouvert bien des chemins et offert bien des réponses sur la question.

La famille ? Un endroit de crispation et de mutation

Le sujet de “La famille s’agrandit” est complexe dans sa réflexion, tant sur les différents cadres et temporalités mis en place que sur l’itinéraire des personnages. Pourtant, en dépit de la complexité et du sérieux du sujet on ne s’ennuie pas un instant. On se moque, de soi-même et de l’incongruité de certaines situations faisant de l’humour le pilier de chaque réflexion.
La pièce tient essentiellement par le jeu généreux et inventif des deux comédiennes. La scénographie de François-Gauthier Laye s’articule sur la lumière minimale et discrète de Fabrice Ollivier pour coller à l’interprétation souvent acrobatique des deux comédiennes.
Elles se cherchent, s’opposent mais surtout s’écoutent avec une grande tendresse, évoquant sans fausse pudeur le désir de maternité des femmes homosexuelles ou les affres de l’accouchement. Apparaissent aussi les crispations des familles et de la société heurtées par ces nouveaux modèles familiaux. Tout passe par le corps des comédiennes qui, à travers les anecdotes et les récits évoqués, jouent tous les rôles : du médecin à la patiente, de Françoise Héritier “interviewée” à travers ses textes au dernier accouchement de Marie.
Cependant, que la famille soit homoparentale ou hétéroparentale, les choix à faire et les responsabilités à prendre sont identiques. Plutôt que de dénoncer, se justifier ou s’excuser, dans une adresse directe qui crée une complicité de plus en plus étroite avec le public, l’écriture, la mise en scène et le jeu ouvrent, à travers l’autodérision et le rire, la parole et le récit intime vers une réflexion plus large, plus ouverte et plus tendre.