Théâtre “L’Île d’or” mis en scène Ariane Mnouchkine

L’Île d’Or: Création collective du Théâtre du Soleil

Mise en scène : Ariane Mnouchkine en harmonie avec Hélène Cixous

Et si on commençait par la fin pour ce nouveau spectacle qui marque le retour du Théâtre du Soleil et d’Ariane Mnouchkine sur la scène ? 15 minutes d’ovation qui retenait encore la trentaine de comédiens après presque trois heures de spectacle.15 minutes qui disaient le plaisir et le bonheur des retrouvailles en dépit des hauts et des bas de la crise sanitaire qui n’ont pas manqué de marquer l’ensemble de la troupe. 

Un bonheur, un partage, le Théâtre du Soleil enfin de retour, toujours présent, généreux et si talentueux , avec un théâtre qui nous enracine, nous emporte et nous fait rêver. 

Kanemu-Jima, l’Île d’or

Après “ Une chambre en Inde” en 2016, cap vers le Japon, vers “L’Île d’or” sur les pas de Cornélia, l’ héroïne de “Une chambre en Inde”, toujours interprétée par Hélène Cinque.  Si dans “Une chambre en Inde”, la pauvre Cornélia devait assumer la direction d’une troupe de théâtre, suite au désistement du metteur en scène rendu fou en raison des attentats à Paris, sur l’Île d’or où elle se trouve au Japon, elle est atteinte par un virus, alitée et soignée par un infirmer. Elle rêve beaucoup et ses rêves racontent les infamies et les scandales du monde actuel, les travers des uns ou des autres qui font rire. Ses rêves animent aussi les légendes, font surgir des personnages qui se lèvent contre les injustices, construisent une foule d’histoires qui racontent la solitude, la duplicité mais font entendre aussi la poésie et les espoirs du monde, la complicité et l’amour…

“Comme l’Inde ou Bali, précise Ariane Mnouchkine, le Japon est habité par l’esprit du théâtre” et pour le Théâtre du Soleil, ces formes ancestrales sont nourrissantes et inspirantes sans jamais paralyser ou supprimer l’originalité de ses créations. La pandémie a empêché le voyage sur place, mais qu’à cela ne tienne rester dans le lieu habituel du théâtre à la Cartoucherie n’empêche pas les voyages et n’arrête pas les rêves ! Cornélia devient une sorte de double de Mnouchkine dont la voix s’élève pour dénoncer d’une pièce à l’autre les magouilles et la vie qui passe. Toujours avec la complicité d’Hélène Cixous, le français utilisé ici sort de sa syntaxe et transforme la construction des phrases en rejetant le verbe à la fin. De cette reconstruction surgit une certaine élégance  qui ouvre ce français parlé sur la scène à d’autres rythmes qui évoquent ceux de la langue japonaise. 

“L’Île d’or” mis en scène Ariane Mnouchkine - à la Cartoucherie
“L’Île d’or” mis en scène Ariane Mnouchkine ©Michèle Laurent

Une quête du spectacle

Au-delà de la fable qui constitue la trame de la pièce, c’est la créativité collective des comédiens, techniciens et créateurs lumières qu’il faut une fois de plus saluer ici. Sur l’immense plateau, les scènes se succèdent dans des décors différents et riches en couleurs, effectués en à peine quelques minutes.  Émouvant, drôle…Même en accumulant les qualificatifs il est difficile de définir ce spectacle qui tourne encore et toujours autour du questionnement à la base de toute production du Théâtre du Soleil.  Le spectacle reste une quête et une interrogation permanente de ce qui constitue le théâtre. Qu’appelle t-on théâtre ? Qu’est-ce qui fait théâtre ? L’actualité ? Les grandes questions du moment ou de l’histoire ? Quel sens lui donner? 

La pièce raconte les manoeuvres politiciennes qui veulent la destruction du hangar qui doit accueillir un festival international de théâtre.Le lieu devient à la fois la métaphore du monde économique dominant et manipulateur et un lieu de réflexion sur le théâtre lui-même . Si le théâtre nô dirigé par Kinué Oshima,- actrice et enseignante japonaise de la discipline- sous-tend la dramaturgie de la pièce, il se mêle à d’autres formes artistiques qui ont toujours nourri les rencontres du Théâtre du Soleil et la musique de Jean-Jacques Lemêtre. Certaines scènes se parent de décors traditionnels japonais, d’autres soulignent  la colère mais aussi le rire. Le rire comme un contrepoint, comme une forme de pudeur pour ne pas pleurer sur les chaos du monde afin de résister aux idéologies et aux magouilles financières qui le détruisent. 

Sur la scène, l’île japonaise, la petite île d’or habitée par des pêcheurs et protégée par une déesse marine est menacée par des investisseurs européens qui veulent la transformer en paradis touristique. Sur la scène, le monde entier surgit avec ses oppositions, ses travers, ses arnaques, mais aussi sa poésie et sa solidarité. Le projet de festival de théâtre au centre de la pièce permet de mettre en scène le monde dans sa diversité et sa folie. Des masques recouvrent comme une seconde peau la plupart des visages des protagonistes et de façon étrange “japonisent” tous les comédiens tout leur donnant un visage “frère”. Là aussi des inventions qui amènent le rire : deux français se promènent nus en hurlant dans un porte-voix, un metteur en scène Palestinien s’oppose en arabe à son épouse Israélienne et comédienne qui lui répond en hébreu, une troupe japonaise de marionnettistes pleine de poésie… Entre rêves et « visitations » se trouve convoqués le théâtre du monde…Dans un jeu à la fois précis et totalement libre, en trois heures de spectacle, on est monté dans un hélicoptère, une voiture, on a exploré tous les quartiers de Tokyo, suivi Ibn Khâldun en voyage sur son dromadaire, sur les routes du monde. On a entendu de nombreuses langues, de l’hébreu au japonais en passant par l’arabe, le chinois, le français et  d’autres encore . 

Ce théâtre-là est décidément bien grand car il parle à notre cœur comme une force revitalisante « qui combat les désespoirs et la destruction pour garder vivants les sentiments humains et la tendresse”. Laissons le mot de la fin à Ariane Mnouchkine elle même, parlant de sa pièce : “Une île, c’est-à-dire, au théâtre, le monde. Voilà déjà ce dont je suis sûre”. 

Voir les photos du spectacle sur l’œil de la souris

L’île d’or / Kanemu- jima 

Création collective du Théâtre du Soleil / en harmonie avec Hélène Cixous

Mise en scène : Ariane Mnouchkine


Musique : Jean-Jacques Lemêtre


Vu au Théâtre du Soleil

A partir du 3 novembre 2021

Location : individuels 01 43 74 24 08
collectivités, groupes d’amis : 01 43 74 88 50

Du Mercredi au Vendredi à 19h30, Samedi à 15h, Dimanche à 13h30.  Durée : 2h45 avec entracte

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