Théâtre - J'aurais mieux fait d'utiliser une hache: Mise en scène et interprétation: Collectif Cie Mind the Gap

J’aurais mieux fait d’utiliser une hache
Texte et Mise en scène : Collectif Cie Mind the Gap

“J’aurais mieux fait d’utiliser une hache”, le titre de la pièce à lui tout seul, est déjà un programme des plus suggestifs. La mise en scène et l’interprétation établies par l’ensemble du collectif Mind The Gap nous conduit, par des chemins multiples et transgressifs, dans l’exploration des films d’horreur…   
Théâtre - J'aurais mieux fait d'utiliser une hache: Mise en scène et interprétation: Collectif Cie Mind the Gap
Photos © Marie Charbonnier

Attention au vide !

Le nom de la compagnie est Mind the Gap. C’est aussi une expression anglaise utilisée pour la première fois en 1969 et devenue un symbole du métro de la capitale britannique. Elle peut se traduire par « Attention au vide ! » et fait donc référence à l’écart, parfois relativement grand, entre le métro et le bord du quai dans certaines stations courbes du métro. Le nom de la compagnie indique déjà le cheminement suivi par cette bande de joyeux lurons qui adorent explorer des chemins théâtraux escarpés et inédits tant dans la mise en scène que dans l’interprétation. Nous voilà au bord du gouffre et prêts à plonger dans le vide!…Dès l’entrée dans le théâtre, les contours disparaissent dans la fumée qui envahit le plateau et la salle, des cordons de lumière jaune et rouge se détachent sur la scène. Sombre, elle semble envahie d’un capharnaüm d’objets qu’on distingue mal. Des souffles, des craquements, les murmures d’une forêt et de ses animaux se font entendre. Dans l’ombre, posée sur un canapé au premier plan une pancarte où on peut lire “Camp Scott 1977”. Une voix d’enfant raconte, un autre rit… Nous voilà plongés en premier lieu dans l’univers du conte, mais aussi dans celui des films d’horreur où veille et siffle l’homme à la hache…Dans ce vide sidéral où règnent des bruits indéfinissables, tout peut arriver !…On finit par quitter la forêt et par se retrouver dans la cuisine fermée et “sûre” – en apparence – de Jeanne qui discute au téléphone avec son amie Stéphanie !…

Du théâtre de Grand Guignol au slasher-movie

Avec “J’aurais mieux fait d’utiliser une hache”, la Compagnie Mind the Gap signe son troisième spectacle et s’aventure avec beaucoup d’imagination et de précision dans l’exploration du cinéma de genre. Ici le film d’horreur, le slasher movie, sous-genre né aux États-Unis dans les années 1970 et qui marque la fin des années hippie. Dans le slasher-movie, un tueur défiguré ou masqué assassine, un par un, les membres d’un groupe de jeunes, principalement la nuit, le plus souvent à l’arme blanche, comme dans “Massacre à la tronçonneuse” ou “Scream”. Sur la scène du théâtre Monfort, dans sa cuisine Jeanne prépare son repas. Dans l’ombre, un homme guette et va la tuer. Les modalités de l’exécution varieront pour aboutir toujours au même résultat : la mort de la jeune femme.
Comme dans le théâtre de Grand Guignol, on utilise des litres de faux sang et la situation est souvent drôle. Cette référence au Grand Guignol est bousculée par celle qui fait intervenir les références cinématographiques des slasher movies : un bruit insolite dans la maison, le chat qui ne revient pas, l’ampoule qui s’éteint, un coup de téléphone…
La mise en scène – créée par l’ensemble des acteurs- se construit autour de deux univers. Le premier est construit comme une fiction radiophonique dans une forêt où campent des jeunes scouts. Les bruitages se font en direct et révèlent leur construction archaïque à la vue du public. Le silence de la forêt se peuple de bruits étranges fabriqués par des parapluies ou des brosses que l’on frotte, des sons dans le silence, l’inquiétude qui se noue quand quelqu’un que l’on ne voit pas sifflote dans le lointain le familier “dans la troupe, y’a pas d’jambe de bois…”. Quelque chose va avoir lieu, mais quoi ? L’imaginaire collectif autour de la forêt fait référence aux contes du soir. Changement d’ambiance pour la suite qui se déroule dans un coin du plateau. Le décor représente une cuisine dans un appartement banal où une jeune femme prépare son repas. À vue, la tension monte malgré la familiarité du décor. Le meurtre de la jeune femme constitue la seconde partie de la pièce. Ici se dévoilent les ressorts de la fabrication du film d’horreur. Sont mis en avant les “dessous” du meurtre fabriqués par l’assassin – la surveillance par la fenêtre sans être vu, les menaces et enfin le crime “en direct” qui se déroule selon une mécanique prévue, sous les yeux d’un public qui s’y attend. Les différentes variations du crime font partie de cette tension, même si le résultat est connu d’avance.

Théâtre - J'aurais mieux fait d'utiliser une hache: Mise en scène et interprétation: Collectif Cie Mind the Gap
Photos © Marie Charbonnier

La mise à distance et l’analyse

“De façon décalée et en s’appuyant sur le comique de répétition, soulignent les créateurs du spectacle, “J’aurais mieux fait d’utiliser une hache”, sollicite l’imaginaire du spectateur via une omniprésence du son qui joue sur nos peurs pour mieux les mettre à distance et en rire”.
La dernière partie de la pièce revient pour les comédiens et les auteurs du film à répondre à une interview. Se détricotent alors les principes narratifs du théâtre et de la fabrication du film. La scène du théâtre disparaît pour s’affirmer comme un plateau de cinéma encombré de fils et de caméras. Apparaît aussi la réalité de la fabrication d’un film : on l’oublie, mais toute la technique mise en place pendant le tournage disparaît seulement lorsque le film monté et mixé est projeté sur l’écran.
La pièce se transforme ici en un théâtre de genre nouveau où se télescope le théâtre de Grand Guignol et la fabrication d’un film d’horreur. Au-delà du comique des situations qui met la peur à distance, naissent des questions. Et avant tout celle-ci qui en est le centre : Qu’est-ce qui nous captive dans ces récits de violence qui aboutissent aux films d’horreur ? La férocité nous dépasse parfois, mais il reste avant tout la jubilation de raconter des histoires même si elles nous font peur. De fait, le récit de ce cinéma raconté sur la scène de théâtre nous conduit à nous interroger et à décaler la fascination qu’il exerce. Il devient alors un objet de réflexion esthétique qui brouille les frontières entre le réel et la fiction.

Le résultat sur le plateau est parfois dérangeant. La réflexion qui a conduit à la création de cette pièce est intelligente, approfondie et fait de Mind the Gap une compagnie dont le travail mérite d’être suivi.

Théâtre - J'aurais mieux fait d'utiliser une hache: Mise en scène et interprétation: Collectif Cie Mind the Gap
Photos © Marie Charbonnier



J’aurais mieux fait d’utiliser une hache

Mise en scène et interprétation :

Thomas Cabel, Julia de Reyke, Solenn Louër, Anthony Lozano et Coline Pilet


  • Dramaturgie : Léa Tarral
  • Création sonore : Estelle Lembert
  • Création lumière : Quentin Maudet
  • Scénographie/ Costumes : Clémence Delille

Durée : 1 h 20 environ


Représentations du mardi au samedi / Du 7 au 18 Mars 2023 à 19h30
(Relâches les dimanche 12 et lundi 13 Mars)

Théâtre Le Monfort – 106 Rue de Brancion – 75 015 Paris

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