Une génération en crise avec ses doutes, ses rêves, ses révoltes et ses coups de gueule…L’adolescence quoi ! Des chaises, un bureau et nous voilà dans un lycée avec un proviseur, une psy et la femme de ménage de l’établissement au milieu d’un groupe de garçons et de filles turbulents et pleins d’imagination, et cela devient explosif!…”Explosif”, justement le titre de cette pièce mise en scène par Lisa Wurmser et écrite par Élise Wilk, une jeune autrice roumaine pleine de talent… 

“Explosif”, un spectacle aux entrées multiples

À la tête de ses élèves, décontracté et très dans l’air du temps, il entre…Lui c’est le Proviseur qui affirme que dans SON lycée, il n’y a jamais eu de gros problèmes. Derrière lui et se moquant , les élèves affirment sur un air de musique, que c’est du bla-bla… Dénis, un élève brillant, mais indiscipliné n’en fait qu’à sa tête et infuse le trouble de façon savante dans l’établissement. Autour de lui et malgré les efforts de Penthée, le délégué du lycée, tout le monde et surtout les filles adorent Dénis, le suivent dans la mise en place de désordres de plus en plus imaginatifs et exacerbés. Inspirée par “Les Bacchantes”, la tragédie grecque d’Euripide ici librement réécrite, la cité de Thèbes devient un lycée de notre époque, en proie au désir de popularité et aussi au harcèlement scolaire… 

Mais finalement, ce lycée c’est quoi ? Ben c’est un lycée de nos jours : “La presse à scandale dirait que c’est une “école de riche”, le proviseur dirait que c’est un lycée “d’élite”, la fille dépressive dirait que c’est un lycée “super merdique”, Dénis dirait que c’est un lycée “assez cool”.La femme de ménage n’en dirait rien. Trop occupée à savoir ce que les autres en disent”. 

L’illusion de dominer le monde

Avec une grande habileté, “Explosif” se construit dans sa dramaturgie autour des personnages de la tragédie grecque. Deux personnages portent d’ailleurs les noms des héros de la tragédie grecque : Penthée, cousin de Dionysos dans la tragédie, est ici le délégué de la classe, fils soumis à sa mère Agavé, ici psychologue de l’établissement et mère tout aussi négligente que dans la tragédie.  Dénis est indéniablement lié au personnage du dieu Dionysos, ce fils de Zeus ignoré en tant que tel et qui rend les femmes de la cité de Thèbes totalement délirantes en les entraînant vers des cultes orgiaques. Au centre de tous les regards, dans le lycée, Dénis, organisateur des perturbations, se moque de Penthée, censé faire respecter l’ordre. La tragédie, ici, se transforme en questionnement d’actualité. De quelle façon s’opposer à la violence au sein de l’école ? Comment dépasser l’obsession de l’image et des réseaux sociaux ? Comme dans les films, le choeur de lycéens et surtout lycéennes papillonnent autour de Dénis, maître explosif d’un monde de représentations culturelles qui ne sont jamais remises en question et qui conduiront au suicide de Penthée de plus en plus isolé et vulnérable en raison d’une autorité que personne ne lui reconnaît. Chanteurs, danseurs et comédiens, 9 comédiens et comédiennes au talent incontestable soutiennent la mise en scène de ce spectacle joyeux, intelligent et ambitieux.

La réécriture contemporaine et libre de la tragédie

S’inspirer d’une tragédie grecque pour écrire un sujet contemporain est un chemin des plus accidentés pour ne pas tomber dans l’imitation ou le respect exacerbé de la forme.  Elise Wilk dans son écriture et Lisa Wurmser dans sa mise en scène ont magnifiquement évité ces écueils. Si l’autrice propose en toute liberté la réécriture de la tragédie grecque tout en en respectant certains codes, la metteure en scène se sert de la musique et de la danse pour en faire les personnages centraux du spectacle. Suivant, dit-elle, “la structure musicale d’un texte composé comme un album de musique qui s’ouvre avec une introduction, 12 pistes, un choeur et s’achève par une plage musicale au bord de la mer”.  Ces thèmes, avec un humour qui décale les propos, sont abordés de front et avec talent par le biais des outils de la comédie musicale. La musique devient la voix intérieure des personnages et crée toute l’unité du spectacle. Les scènes se succèdent soutenues par un choeur d’adolescentes, par des chansons rock et pop et par une musique composée par Éric Slabiak. Porté par la musique et la danse, dominer le monde est une des illusions qui scande chaque action au coeur du lycée. Les professeurs essaient de dominer le désordre des élèves et de faire en sorte que leurs cours soient assurés, sans parvenir à donner corps à cette volonté illusoire. Face à eux, les élèves font tout pour déranger l’ordre “de la Cité”, prendre en otage et effacer l’autorité des adultes. Dénis est au coeur de cette illusion qu’il impose à ses camarades, peut-être pour cacher son désespoir et ses chagrins personnels. Sous sa direction, les élèves ont l’illusion de dominer le monde. Tout ces aspects mettent en valeur les thématiques que l’on retrouve aussi dans les films pour adolescents : les doutes, les joies, les histoires de coeur, les rivalités et les déceptions. Quel que soit l’âge et le rôle de chacun, se trouvent soulignés le talent et la solidarité d’une véritable troupe d’artistes.Le résultat final, sur le plateau, est un véritable bonheur de théâtre.