Darius
Texte : Jean-Benoît Patricot
Mise en scène : André Nerman
Deux bureaux sur la scène composés des mêmes éléments : un ordinateur, des papiers, des documents… Deux personnages, un homme et une femme qui, sur le petit plateau du théâtre de l’Essaïon vont s’écrire, se rencontrer parfois et surtout parler de Darius. Darius un homme- éponge dont le corps et l’esprit s'imprègnent de l’environnement immédiat… Darius, un personnage attachant qu’on ne voit jamais et qui emplit de sa présence le texte plein de sensibilité, de douceur et de tendresse écrit par Jean-Benoît Patricot, mis en scène par André Nerman.
Comme un voyage…Le parfum
C’est un garçon curieux qui aime voyager, manger avec les doigts dans les pays lointains, dévaler les rues de Lisbonne en tramway, prendre l’avion et partir. Juste pour aller loin…Ailleurs…Mais Darius ne peut plus se déplacer et communique dans le langage des signes. Tous ses sens se sont évanouis, mais son odorat reste intact et depuis longtemps il est particulièrement sensible aux parfums.
Lorsque Claire Chambaz, directrice au CNRS, contacte Paul Lagarce, un célèbre “créateur de senteurs”, elle lui confie une mission quasi impossible : permettre à Darius de voyager alors qu’il est totalement immobilisé. Pour y parvenir ? Une chose frêle, vivace, immatérielle comme l’écrivait Marcel Proust : imaginer pour le jeune homme des parfums qui vont évoquer pour lui les voyages qu’il a déjà faits…Barcelone…L’Egypte…Amsterdam…
La mise en scène d’André Nerman et le jeu tout en profondeur et en simplicité de Catherine Aymerie et François Cognard surprennent. Aucune action particulière sur le plateau. Pas d’images des voyages évoqués. Juste les mots qui s’égrènent, qui racontent les voyages de Darius, autrefois, à une autre époque…Les temps ont changé pour tous…Claire Chambaz et Paul Lagarce sont deux êtres blessés par la vie. Claire est bouleversée par la maladie de son fils et Paul,suite à la mort de sa femme, est en panne dans sa créativité de parfumeur. Pourtant ils ne se plaignent jamais. Claire, par amour et pour rester dans la vie, imagine ce projet insensé: offrir à Darius le souvenir vivant des parfums des pays et des villes qu’il a visités.La demande de Claire est insolite. Refuser, pour Paul, est dans un premier temps une façon de se protéger. Mais accepter le pari est une façon de retrouver la vie en s’oubliant pour un autre.
Immatériel, persistant et vivace…Le parfum
On ne voit jamais Darius et pourtant, c’est lui qui offre à ces deux êtres blessés par la vie une ouverture, la reconstruction de leur imaginaire et leur permet de retrouver un certain humour. L’échange des mots dans les lettres, l’intimité et les confidences entre Paul et Claire nous éloignent peu à peu de la maladie et nous inscrivent dans le mouvement de la vie. Porté par la poésie et la simplicité du texte, le spectateur voyage à son tour, et s’inscrit complètement dans ce projet pour Darius.
L’échange entre Claire et Paul devient vibrant, l’évocation des parfums et des pays revisités par ce moyen se transforme en sensualité, caresses à distance et support d’imaginaire. On sait dès le début que la maladie dégénérative de Darius aura une fin inéluctable. À 20 ans et un jour, il quitte ce monde en redécouvrant le parfum de la seule et belle histoire d’amour qu’il a vécue à Amsterdam. Paul et Claire retrouvent chacun de leur côté un chemin personnel plus calme et plus serein.
“Dans certains cas, continuer, seulement continuer voilà ce qui est surhumain” disait Camus. Comment, pour une mère, survivre à ce drame ? Pourtant aucune tristesse dans cette pièce qui nous fait voyager à travers l’évocation du monde, l’amour démesuré d’une mère et la générosité d’un créateur de parfum qui se prête au jeu.
Au-delà de la dégradation et de la mort, Darius donne une sacrée leçon de vie qui, sans nier les chagrins, les attentes déçues et la perte des êtres chers, nous conduit vers cet accomplissement intérieur qui agrandit le monde.