Deux frères…L’aîné a quitté sa famille italienne, le plus jeune vient le rechercher.…Mais finalement  “C’est lequel le plus lâche ? Celui qui part ou celui qui reste ?”
“Come Prima”… La pièce a le titre d’une chanson italienne qui évoque la nostalgie des années 50 . Elle se joue au Théâtre des Déchargeurs à Paris jusqu’au 17 Juin.

Un road trip des années 60

Juillet 1958. Giovanni vient chercher Fabio, son grand frère et boxeur sur le déclin. Ils ne se sont pas revus depuis des années. Avec lui, il transporte l’urne qui contient, dit-il, les cendres de leur père. Les deux frères se chamaillent, s’opposent mais sans qu’ils le disent, ils sont heureux de se retrouver en dépit des circonstances. Retour en Italie à bord d’une Fiat 500 loin d’être neuve. Traversée de la campagne française, retour sous le soleil écrasant vers la région pauvre de l’Italie où vit la famille. Pourtant les fantômes ne sont pas loin …Les époques et les souvenirs joyeux ou douloureux surgissent au son de la guitare, des chants révolutionnaires italiens et des règlements de comptes. La seconde guerre mondiale et le passé fasciste de l’Italie de Mussolini ont laissé des traces… Récompensée en 2014 au Festival d’Angoulême, “Come Prima” est une bande dessinée d’Alfred. Laetitia Grimaldi en a écrit l’adaptation théâtrale et en assure également la mise en scène.

De la bande dessinée à la pièce de théâtre

La pièce débute par un combat de boxe qui, de façon métaphorique, souligne l’opposition de la famille au frère aîné qui vit en France. Celui-ci a fui ses obligations en quittant le pays après avoir fait, pendant la dernière guerre, les mauvais choix politiques. Après l’exode et la division où se situent les relations familiales ? Comment les reconstruire alors que la guerre et certains choix politiques ont été à l’origine de ces divisions ?
« La fratrie, les racines, les choses que l’on porte en soi sans toujours comprendre d’où elles viennent, les malentendus sur lesquels on n’ose jamais revenir [sont à la base de cette pièce]” souligne Laetitia Grimaldi . De plus, cette histoire se fonde sur les origines familiales d’Alfred dont la famille était divisée politiquement. Le grand oncle était chemise noire et le grand-père avait des affinités communistes.
Dans sa mise en scène, Laetitia Grimaldi travaille sur les allusions et les silences familiaux, sur un registre qui croise les oppositions anciennes, le plaisir immédiat et comique d’un voyage entrecoupé de rencontres inattendues. La pièce déroule une galerie de personnages bigarrés, surprenants. Durant le voyage, la rencontre et l’adoption d’un chien qui se comporte comme un “sage”, révèle les névroses et entreprend de les expliquer à Fabio, va conduire celui-ci à une transformation totale .

Un jeu et une mise en scène entre réalisme et onirisme

La réalité des années 60, celle des retrouvailles entre les deux frères, un passé envahissant peuplé de secrets et de fantômes construit toute la dramaturgie de la pièce. Reviennent avec des paroles gênées, et rares le passé envahissant qui raconte les trahisons et leurs conséquences, au sein de la famille. “ L’année qui a suivi ton départ, rappelle Giovanni à Fabio, tout a dégénéré et tes potes, les chemises noires, ont encore fait monter la pression sur les syndicalistes et tous ceux qui n’adhéraient pas au parti. Les gens comme Papa !”
Au début de la pièce les deux acteurs (Lionel Correcher jouant le rôle de Giovanni et Helmi Dridi celui de Fabio) semblent avoir du mal à se trouver, même si Le jeu de départ entre les deux frères se construit sur la gêne. Leur complicité finit par s’affirmer cependant alors que commence le voyage vers le pays d’origine. Les registres se mélangent et se répondent. S’alliant au texte, la scénographie, la musique et la lumière finissent par faire naître les sensations : l’odeur des oranges du jardin, le soleil du sud de l’Italie, l’orage sur la route qui stoppe la progression. La musique nostalgique de l’Italie des années 50-60, magnifiquement portée par les voix chaudes de Mathylde Rio et Johann Poels, rythme les rencontres, la violence et les reproches. Elle finit aussi par chanter l’affection retrouvée et le plaisir du retour.
Le travail sur les bruitages, effectué à vue par les comédiens, (le train qui passe, les oiseaux, le moteur chaotique de la voiture…), “la voiture” créée à partir de caisses en bois et d’un volant seul, soulignent la poésie du texte, marquent une forme de naïveté propre au théâtre et évoquent, en écho, l’univers de la bande dessinée originelle. Alors que la fin du voyage approche, comme un clin d’oeil au cinéma de Vittorio de Sica des années 50, les accents se sont renforcés, le rythme de la parole est devenu plus ensoleillé. On est passé de la campagne française au soleil écrasant de l’Italie. Les fantômes du passé ont conduit parfois à la brutalité alors qu’en parallèle, les souvenirs se sont aussi accrochés au son de la guitare, aux chants révolutionnaires et aux chansons italiennes des années 50- 60. “Come prima”, le titre tellement évocateur de toute une époque ! Comme la madeleine de Proust, la mythologie familiale et la nostalgie passée d’une certaine Italie ont sans doute ouvert les chemins vers l’inspiration et la naissance de cette pièce.