“Deux acteurs de cet acabit, un texte de Serge Valletti, c’est cadeau”.Et  Gilbert Rouvière sait de quoi il parle, puisqu’il est le metteur en scène de “Cahin Caha”.  Pas à pas, on suit un discours porté par Jean Claude Leguay et Daniel Martin, deux comédiens discrets en apparence et qui passent durant une heure, au gré des échanges, des tirades drôles à des saillies cocasses tout en suivant avec lenteur les soubresauts de la pensée ! 

Cahin et Caha ou Kif-Kif et Bourricot…

Après avoir râlé dans la coulisse, ils apparaissent avec leur instrument de musique, habillé d’un costume et de chaussures identiques, la seule différence : la couleur des chaussettes, verte pour l’un et rouge pour l’autre. Ils semblent fatigués, s’assoient sur un banc. Prêts à jouer, ils font un mouvement de la bouche, approchent leur instrument et s’arrêtent. Une question importante se pose : “Avant l’invention du langage de quelle façon communiquait-on ? “ Question d’une importance majeure puisqu’il s’agit avant tout de répondre à cette question majeure et de percer le mystère du silence.
Pas étonnant. Nous sommes dans une pièce de Serge Valetti et ce genre de question est propre à tout son univers. Des questions bizarres qui créent comme un appel du jeu théâtral. Ça tombe bien, Jean-Claude Leguay et Daniel Martin, les deux comédiens de “Cahin Caha” se glissent avec bonheur dans cette histoire (apparemment) sans queue ni tête, l’un est Cahin, l’autre est Caha et en fait, ces deux-là c’est Kif-Kif et Bourricot !… Pendant une heure, ils nous entraînent sur leurs pas, posant les questions et y trouvant des réponses de plus en plus saugrenues. On ne lâche rien, on suit pas à pas un discours qui essaie de trouver une solution à un combat intime. Une solution ? C’est à voir !

Une mise en scène en contrepoint

Écrit à l’origine par Valetti pour un seul acteur, la pièce est ici un duo. Pourtant le dialogue ressemble à une sorte de voix intérieure qui exprime les questions et les réponses. Le texte ne raconte pas une fable, mais pose les pensées qui nous habitent, nous freinent ou nous font avancer au fil des jours. Face à face et sans bouger les deux compères refont le monde et posent des évidences qui jouent sur le langage. “ Miner c’est faire sauter ce qui est minable” affirme l’un . “Oui, mais moi je préfère faire dramaturge que d’aller tuer des gens” affirme l’autre. L’écriture de Serge Valetti dans sa précision, ses jeux de mots, ses allusions et ses échappées essaie de rendre visible ce qui nous agite, qui nous empêche d’être nous-mêmes, quand nous sommes à la fois créatifs et destructeurs, gentils ou méchants. Comment vivre et faire vivre ces oppositions en nous-mêmes ? “J’ai l’impression, souligne l’auteur, que j’ai écrit surtout une partition à deux voix, pour deux instrumentistes qui seraient leur propre instrument”. Et ces deux-là sont justement deux instrumentistes qui cherchent un accord et quoi d’étonnant quand on est musicien.

Le questionnement incessant de la vie

Quel est le sens de la vie , le sens de l’écriture et le “bon” sens c’est quoi ? Toute l’oeuvre de Serge Valetti est basée sur ce questionnement incessant.
La mise en scène de Gilbert Rouvière joue sur une sorte de contrepoint qui déstabilise le jeu de ces deux acteurs drôles, subtils et inventifs que sont Jean-Claude Leguay et Daniel Martin. Ils soufflent, ils semblent fatigués, mais leur jeu ne lâche rien et fait entendre toutes les subtilités d’un texte où chaque phrase s’inscrit dans le double jeu des mots et le déséquilibre qui met en évidence le sous-titre de la pièce “Dialogue pour un homme seul”.
Serge Valletti nous offre une “vis sans fin” qui nous permet de recommencer le dialogue en “retournant la peau du saucisson” ! “Comment communiquait-on avant l’invention du langage” constitue le début de la réflexion pour finir par cette interrogation “qu’est-ce que le théâtre ?” En passant par toutes les étapes du processus d’écriture Comment on écrit ? Qu’est-ce qu’on raconte ? C’est quoi les mots ? À quoi ça sert ? Le silence ? Le vide ? Et… Le théâtre ? “Je me demande lequel de nous deux va crever en premier !” demande Caha à un moment de la pièce…”Ouais, c’est une sorte de course à l’envers !” réplique Cahin. Et pour finir une pièce il n’y a qu’une fin alors autant la précipiter avec l’aide d’un ami !
La diffusion de la pièce va bientôt se terminer aux Déchargeurs à Paris, mais ne la ratez pas à La Scala Provence durant le Festival d’Avignon !