
Cahier d’un retour au pays natal
Texte : Aimé Césaire
Mise en scène : Jacques Martial
Au bout du petit matin… Le métro qui se réveille… la ville qui se réveille et cet homme chargé de sacs lourds qui entre sur un plateau encombré de sacs en plastique, de papiers… Un homme… Un exilé ? Un SDF ? Un homme… Au bout du petit matin…Au bout… Début de ”Cahier d’un retour au pays natal” du poète Aimé Césaire. Un texte toujours important, revisité, interprété et mis en scène par ce magnifique acteur antillais qu’est Jacques Martial. Un texte qui nous parle et s’impose encore et toujours, d’hier à aujourd’hui…
Au bout du petit matin…Retour sur des chemins sans mémoire
Les exilés, les exclus…L’homme qui a pénétré sur la scène en fait manifestement partie. Il a perdu l’habitude de parler semble-t-il. Pourtant, ses premiers mots dits sur un rythme incantatoire s’enroulent et s’imposent à l’écoute. L’ homme noir sorti du petit matin et d’un temps immémorial parle et raconte “[le] bout du petit matin, la ville plate, inerte (…) posée entre les surprises et les perfidies”.
Le texte fait naître des images fantasmées des Antilles et au-delà évoque, au fil des mots, l’histoire plus large d’une “négraille assise, inattendument debout”. Une mémoire refoulée dans l’Histoire racontée par les blancs.
Rédigé en 1936-1939, “Cahier d’un retour au pays natal” se présente comme un long texte d’une quarantaine de pages, sous forme de vers libres. Le retour en Martinique s’accompagne, pour Césaire, de la prise de conscience de la condition inégalitaire des noirs. Sa poésie incandescente identifie et unit l’homme au pays dans une “négritude qui plonge dans la chair ardente du ciel”. Le texte de Césaire s’enracine dans les Antilles françaises de l’entre-deux guerres à une époque où la France et l’Europe régnaient en maîtres sur des empires coloniaux, notamment en Afrique et aux Antilles, à une époque aussi où les thèses racistes nourrissaient le nazisme du troisième Reich.

Au bout du petit matin…Sur les chemins d’aujourd’hui
Inscrivant ses pas dans ceux du poète, empruntant ses “chemins sans mémoire”, Jacques Martial ouvre vers l’exploration d’un territoire plus large. Passeur d’histoires, il se fait l’interprète des souffrances passées, des frustrations, des rêves des exclus et des déracinés de tous bords. De sa voix puissante, il nous fait entendre aussi la houle de la mer qui gronde, la voix du vent ou le sifflet du colibri.
“Dans ma mémoire sont des lagunes recouvertes de têtes de mort”, dit Césaire. Partant de cette douleur individuelle, la parole s’enfle pour englober la douleur et les colères de tout un pays. Ce pays auquel s’identifie l’auteur et par lequel il s’apaise en se fondant dans ce qui le constitue : la mer, les volcans, la terre…
C’est par un jeu très physique et posant les mots avec tout son corps que Jacques Martial, dans son interprétation, lance un défi aux fantômes. Sa mise en scène s’appuie sur la scénographie de Pierre Attrait qui redessine l’espace géographique à l’aide de tissus de couleurs, la trame des tissus devenant symboliquement la trame de l’histoire. Apparaissent alors dans les tissus posés au sol ou entassés, les îles antillaises, le continent africain et la France. L’homme noir devient alors le créateur de ce bout de petit matin et le guide de cette carte réinventée du monde. Alors qu’il se trouve exilé dans la solitude de son être, il effectue, à la fin de la nuit, son retour vers le pays natal, vers la conscience de son humanité et de sa vérité. Il devient le frère, l’héritier et la mémoire, 80 ans après, de l’homme-juif, l’homme-cafre, l’homme- hindou-de-Calcutta, l’homme de Harlem qui ne vote pas, évoqués dans le Cahier de Césaire.
À partir de «ce presque rien», trois sacs, une bâche plastique, quelques bouts de tissus épars, un morceau de craie, Jacques Martial réinvente, se réapproprie le texte de Césaire et l’ouvre à des références actuelles, soulignant la profondeur d’une poésie toujours en action, affirmant “qu’aucune race ne possède le privilège de la force et de la beauté”.
Surtout ne pas rater ce spectacle tout en finesse et en prise de conscience qui se joue au Théâtre de l’Épée de Bois jusqu’au 16 Octobre.
Cahier d’un retour au pays natal
Texte : Aimé Césaire
Interprétation et mise en scène : Jacques Martial
- Scénographie : Pierre Attrait
- Création Lumière : Jean-Claude Myrtil
- Peinture : Jérôme Boutterin
- Accessoires : Martine Féraud
Durée estimée: 1h 30
Du 29 Septembre au 16 Octobre 2022
Du jeudi au samedi à 19h
Samedi et dimanche à 14h30
THÉÂTRE DE L’ÉPÉE DE BOIS/ Cartoucherie- Route du Champ de Manoeuvre- 75012 Paris