Théâtre - "Au Bord" : Texte :  Claudine Galéa - Mise en scène: Marine  Gesbert

Au Bord

Texte : Claudine Galea

Mise en scène & Jeu : Marine Gesbert

Une photogr­aphie parue dans le Washington Post le 21 mai 2004… Une so­ldate américaine ten­ant en laisse un pri­sonnier irakien dans la prison d’Abu Graïb…Une écriture “au bord”, celle de Claudine Galea mise en scène et interprétée par Marine Gesbert…Un résultat dérangeant et émouvant qui interroge et bouscule…
Théâtre - "Au Bord" : Texte : Claudine Galéa - Mise en scène: Marine Gesbert
Photos © Jérôme Plon

La sidération d’une photo …

La violence des hommes…La violence des hommes dans la guerre…Une violence souvent illustrée, décrite ou racontée. On parle rarement de la violence des femmes et encore moins de la violence des femmes dans la guerre. Le projet de l’écrivaine Claudine Galea s’est construit autour de la sidération d’une photo parue en Mai 2004 dans le Washington Post: une soldate américaine tenant en laisse un prisonnier irakien jeté sur le sol dans la prison d’Abou Graïb. Le texte de Claudine Galea et l’interprétation de Marine Gesbert – qui assure aussi la scénographie et la mise en scène – tournent autour de la fascination et de la terreur inspirée par cette photo. Le résultat sur la scène relève d’une double approche complémentaire : celle de l’auteure arrêtée par la photo à sa parution et pour Marine Gesbert la fascination pour le texte qui en a résulté. Un texte obsessionnel, porté par des répétitions, des retours qui éloignent la portée et la réalité de la situation et deviennent, pour l’autrice, non le rejet mais le désir pour la soldate que provoque l’image.

Théâtre - "Au Bord" : Texte : Claudine Galéa - Mise en scène: Marine Gesbert
Photos © Jérôme Plon

Une femme qui tient un corps en laisse…

Il y a quelque chose de très dérangeant dans cette affirmation de l’autrice dès le début de la pièce. “Je suis une femme qui regarde une femme qui tient un corps en laisse…Je suis cette laisse et j’écris au bord”. Les mots se bousculent, se chevauchent, dérangent, car à aucun moment n’est mentionné le prisonnier au bout de cette laisse. Sur la photo qui est l’unique décor et sert de fond à la mise en scène, on le voit à peine, juste sa tête…Le centre est cette jeune femme brune et jolie qui le regarde et dont la main tient une laisse. Dans un jeu sans fioriture qui inscrit le texte dans toute sa force, la comédienne est assise au début de la pièce devant cette photo. Dans une scénographie a minima qui lui laisse toute la place, Marine Gesbert, pousse calmement les mots. Dans une adresse directe au public, elle laisse les pensées se suivre, s’interrompre, s’entremêler et se perdre. Dans un dispositif tri-frontal, le regard direct de la comédienne s’inscrit dans la proximité du public et traduit une intimité qui s’adresse à chacun. Elle exprime une pensée inexprimable, scandaleuse : la photo lui inspire le désir impudique de la soldate.
Ignorant le visage du prisonnier par terre, la laisse sur la photo et tenue par la soldate en devient le centre. La pensée s’échappe vers une vision plus personnelle : le lien qui attachait la jeune femme à sa mère dominatrice, à cette femme aimée et qui s’en est allée. Sur cette photo muette, les mots organisent une autre forme de la violence.

Comme une hypnose

Portée par sa jeunesse, le jeu de la comédienne semble naître d’une sorte d’hypnose. Dans cette écriture entre rêve et réalité, l’autrice est présente dans le jeu sans résistance et sans démonstration de la comédienne. La langue poétique et crue laisse surgir les images qui viennent du plus profond de soi : les rapports de pouvoir, l’emprise et les humiliations traversées, l’enfance et la sexualité.
Partant de la photo, se font entendre les confidences de l’autrice, sur les frontières de son sadomasochisme et son rapport érotique au monde. Dépunaiser la photo ne suffira pas à s’abstraire de la trace qu’il en reste à l’intérieur. Dans ces allers et retour entre l’horreur de la situation photographiée, porteuse en filigrane des horreurs de la guerre, apparaissent aussi au miroir des mots, pour l’autrice, une forme de fragilité de la soldate. Cette fragilité se confondant avec l’incapacité de sa mère à exprimer l’amour, car, signale-t-elle, le désir d’aimer cohabite parfois avec le désir de tuer. Suivant jusqu’au bout le parcours chaotique et difficile des émotions et des réflexions intimes, l’autrice finit par affirmer que les images fantômes représentent aussi le réel . Un réel de nous-mêmes que nous ne voulons pas toujours voir.
Dans un jeu empreint d’enfance et de naïveté, Marine Gesbert, dans une grande sincérité, se fond et s’oublie dans l’écriture de Claudine Galea. “Être attirée par une image monstrueuse, ça pose des questions et donc ça questionne la part de monstruosité qu’on a en soi », souligne Claudine Galea pour expliquer sa démarche. Souvent on passe parce qu’on ne veut pas aller voir pourquoi les images nous arrêtent, et si on ne s’arrête pas à ça, on s’arrête à quoi ?” Le sujet de cette pièce nous désarçonne, nous interpelle, nous obsède… Autant de bonnes raisons d’aller la découvrir dans ce joli lieu intime qu’est le Théâtre La Flèche.




Au Bord

Texte : Claudine Galea

Grand prix de littérature dramatique 2011

Jeu & Mise En Scène : Marine Gesbert

  • Collaboration Artistique : Christophe Patty
  • Lumières : Véronique Boisi
  • Scénographie : Marine Gesbert

Durée estimée : 1 h


Jusqu’au 9 Juin 2023 – Le vendredi à 19 h

Théâtre La Flèche – 75011 Paris


Retour en haut
Tweetez
Partagez