Entre SMS et messages sur nos portables, les “appels d’urgence” sont devenus la base de nos communications. Se parler en vrai ? Se rencontrer ?…On verra plus tard !…Un seule-en-scène émouvant et drôle sur la place des femmes dans une société marquée par l’âgisme, avec pour base des coups de patte à nos habitudes quelle que soit notre génération…

Appels d’urgence et obsolescence programmée

Sur le plateau, une femme nous accueille. En quelques mots, elle nous présente son spectacle directement. Le sujet de la pièce nous concerne tous : les appels urgents que nous passons avec nos portables. Elle ressemble aujourd’hui à sa mère, affirme-t-elle, mais que l’on se rassure, contrairement à elle, elle va très bien !…C’est à voir !…Tout a commencé à aller de travers dans sa vie quand, dans son foyer arrive la télévision…Son mari était ravi car il allait pouvoir regarder le premier tournoi de Roland Garros…Dès lors, à la maison tout a changé ! Tout le monde est assis dans le canapé face à la télé et sa fille est devenue la championne de la télécommande en changeant de programme toutes les deux secondes ! Pourtant, avec la télé, elle découvre aussi une certaine qualité dans les disputes avec son mari . Puis le portable et internet sont arrivés, et là tous les rituels ont changé… Avec une observation et un humour redoutables, Coco Feilgeirolles détaille les rituels qui ont conduit à l’éclatement des cadres des conversations personnelles et à l’obsolescence programmée des désirs de la mère donc des plus âgés dans leur ensemble. Au XXI° siècle, l’intimité a disparu et converser avec son fils, sa fille ou sa mère représente une intrusion permanente des autres puisque ces conversations se déroulent souvent dans des lieux publics. Attention ! Le portable est un virus dangereux et personne ne peut y échapper !…”Je t’appelle demain…Promis !” annonce le SMS, mais pourquoi perdre le temps de l’envoi d’un SMS au lieu de parler en direct ? “Constatation, dit la mère, j’ai atteint l’âge d’être filtrée au téléphone…Je deviens une obligation !…Pas que pour mes enfants d’ailleurs, mais pour le monde entier”. Et dans ce monde, on finit par avoir des réponses à des questions non posées et on ne répond jamais à celles qui le sont ! 

Entre fiction et réalité

“Appels d’urgence” est une pièce qui est née d’une envie de travailler à trois à partir de l’intime. Trois femmes. Au centre, l’actrice Coco Feilgeirolles qui en a l’idée et qui va orienter les sujets à partir de son vécu, l’autrice  Agnès Marietta qui a posé les mots du texte et Heidi- Eva Clavier qui en assure la direction et la mise en scène. Entre fiction et réalité naît le personnage de Madame Waller dont les souvenirs vont se reconstituer. Madame Waller, dont le nom n’est jamais prononcé pour le public, était professeure de latin, dans les années 60. Ici, elle s’affirme comme très impliquée dans la nécessité d’une bonne communication. “Brillante, atypique, intransigeante avec une grande aura sur les élèves. Madame Waller est un point de départ, Coco est le point d’arrivée. Ou l’inverse” souligne l’autrice de la pièce. À partir de l’intime, ce travail en trio affirme « l’obsolescence d’une mère par sa famille”. Et pour souder ce lien entre Madame Waller et la comédienne sur le plateau, des photos de familles, souvenirs d’enfance anonymisés tapissent l’espace du public.  

Encore à l’âge des possibles… 

Tout tient dans cette pièce par une écriture vive, roublarde, détaillée et soutenue par le jeu élégant de la comédienne qui possède les mêmes qualités. Au fil de la pièce, est remonté le fil de la vie avec ses difficultés, ses non-dits et ses relations bancales. La toile d’araignée des réseaux sociaux, la présence d’outils de communication rapide et immédiate a suspendu voire supprimé la communication personnelle. Quand se rencontre-t-on alors pour parler réellement avec ses proches ? L’humour et parfois le non-sens des situations oblitèrent le chagrin ou le sentiment de solitude qui naît de ces rencontres tout aussi virtuelles que les outils proposés par l’ordinateur. Le plateau de théâtre devient un espace de résonance où la mise en scène souligne ces fausses urgences qui mettent à mal la communication naissant de la réalité des rencontres . Embrasser, tenir dans ses bras, redonner une place à la vraie vie deviennent des impératifs pour dépasser la solitude et conserver un dialogue indispensable qui permet de redonner une marche harmonieuse au monde. Être ici et ailleurs en même temps, mais aussi être là et pas là en même temps appartient à la réalité actuelle… La toile d’araignée des réseaux sociaux permet de façonner sa vie en fonction de celui qui va la recevoir. Ce que cette femme cherche est avant tout avoir un rapport vrai, simple. Ce soir-là, face au public, elle a décidé d’aller à son rythme, de dire avec sincérité et affirmer sans se plaindre ce qu’elle ne veut pas, et en dépit de son âge, refuser de se faire dicter des lois qui ne la concernent pas. “Car oui, quoiqu’on en dise [elle est] encore à l’âge des possibles”.